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bien nécessitée par les circonstances. Ils étaient d’ailleurs jusqu’à un certain point excusables : le soldat n’est pas nécessairement diplomate et son éducation spéciale ne le prépare pas à jouer avec certaines difficultés ; en outre, il n’aime pas l’inaction ; et au fond du Soudan, sur les confins du désert, à des milliers de kilomètres de la mère-patrie, cette inaction doit peser mortellement sur lui, abandonné à lui-même, et n’ayant qu’à compter avec les fièvres en temps de paix. Mais le gouvernement aurait dû tenir compte de cet état moral et posséder la force suffisante pour ne pas laisser aller ainsi les événemens.

La période de conquête fut d’ailleurs héroïque et le récit en est une véritable épopée. Au commencement d’avril 1890, Ségou est pris, Ahmadou battu, et le colonel Archinard entre le 1er janvier à Nioro, capitale des États de ce dernier. Son royaume est divisé ; une partie est donnée à un indigène, l’autre à un ancien employé des postes au Sénégal. On joue au Warwick et l’on fait et défait les rois. Après Ahmadou, on s’attaque à Samory, et l’on entame contre lui une guerre d’extermination. Après la conquête de la rive gauche, on veut la conquête de la rive droite du Niger. Bissandougou, capitale de Samory, est incendiée en 1891. En vain, à Paris, les sous-secrétaires d’État protestent ; en vain une commission est-elle nommée en vue de ne conserver au Soudan que les postes avancés, de réduire l’effectif de la colonne de ravitaillement, de placer, au point de vue politique, le commandant supérieur sous les ordres du gouverneur. M. Etienne, dans ses instructions, a beau recommander de ne pas se lancer en pays inconnu à la suite de Samory. M. Jamais a beau affirmer qu’il n’y aura désormais plus de guerre au Soudan : là-bas, dans les hautes vallées du Sénégal et du Niger, les instructions, les injonctions même du département des colonies sont peu écoutées. L’élan est donné d’ailleurs, et la guerre continue de plus belle. Les opérations ne sont pas même interrompues en 1892. Samory est pourchassé et obligé de quitter ses États. Mais il se dérobe, toujours insaisissable. Il ne quitte une contrée que pour aller s’implanter dans une autre. Rejeté des hautes vallées du Niger sur la frontière de Sierra-Leone, puis de Sierra-Leone dans le nord de la république de Libéria, il se taille un empire dans l’hinterland de la côte d’Ivoire. C’est alors que, trouvant que les difficultés avec lesquelles nous nous débattons ne sont pas assez considérables, le lieutenant de