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avaient déjà jeté leur dévolu sur les meilleurs points. Nous n’avons mis la main que sur des territoires dont ils n’avaient pas voulu, ou qu’ils avaient négligé de prendre. Une fois installés sur le littoral, nous avons poussé droit devant nous, occupant à la fois et indistinctement vallées fertiles et déserts stériles. Aussi ne saurait-on mettre en parallèle nos possessions de la côte d’Ivoire, du Dahomey, et du haut et moyen Niger avec les morceaux de choix qui s’appellent la côte d’Or, Lagos et le bas Niger. La côte d’Ivoire et le Dahomey sont relativement peu peuplés ; au Dahomey, les indigènes, qu’il s’agisse des Dahoméens proprement dits ou des Baribas, sont belliqueux. La vallée du haut Niger, des montagnes du Fouta-Djalon à Tombouctou, a été désolée de temps immémorial par les guerres indigènes, et la population y est très clairsemée. Les habitans y sont d’ailleurs fort turbulens et toujours prêts à partir en guerre. La vallée du moyen Niger, de Tombouctou à Saï, est un pays de steppes et plus encore de déserts : c’est le terrain de parcours des Touaregs qui errent sur l’une et l’autre rives. La ligne conventionnelle Saï-Barroua, adoptée par la France et l’Angleterre comme frontière entre le Soudan français et le Soudan anglais, sépare deux mondes absolument différens. Au midi de Saï commence la région des pasteurs vachers ; là sont les gras pâturages où se pressent les immenses troupeaux des Foulbés, auxquels succède la zone des forêts et des terrains propres à la culture ; le pays est humide, les pluies fréquentes, régulières et torrentielles. Au nord de Saï est la région des pasteurs chameliers ; derrière un mince rideau de savanes, s’étendent à l’infini les sables du désert ; le pays est sec, les pluies extraordinairement rares, peu abondantes, et en beaucoup d’endroits même nulles ; les sécheresses prolongées y détruisent toute plante et y calcinent toute racine, et les nomades qui le parcourent sont obligés, pour vivre, d’aller au loin faire œuvre de pillage et de rapine. La ligne Saï-Barroua est la limite de deux climats et de deux zones de végétation bien tranchés, et l’on ne peut admirer trop la science profonde avec laquelle les Anglais ont proposé d’abord, et l’habileté avec laquelle ils ont fait accepter ensuite, cette ligne comme frontière politique entre les possessions anglaises et les possessions françaises en Afrique occidentale. Par l’adoption de la ligne Saï-Barroua, ils se sont réservé, eux, de l’Afrique occidentale, la partie fertile et pacifique, et nous en avons gardé, nous, la partie ingrate et belliqueuse.