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Cette politique s’est même aggravée dans ces derniers temps et a fait grossir d’une manière démesurée le chiffre des dépenses. De 200 000 francs, en 1887, le budget du Soudan seul s’élevait, quatre ans après, à 7 523 622 francs. En 1894, les crédits budgétaires et supplémentaires atteignaient 12 185 520 francs. Ils ont encore progressé depuis. Mais le budget du Soudan n’est pas le seul ; à côté de lui viennent se ranger les autres budgets locaux, ceux du Sénégal, du Dahomey, de la côte d’Ivoire. Ce dernier absorbe près de quatre millions, et nous ne faisons pas entrer en ligne de compte toutes les dépenses que viennent d’occasionner les missions militaires qui ont occupé, ces deux dernières années, toute la vallée du moyen Niger. On éprouve, à la vue de ces chiffres si élevés, un sentiment d’autant plus pénible qu’à côté de nous, dans des territoires contigus et à population incomparablement plus dense, l’on voit les Anglais dépenser pour l’administration des sommes à peu près insignifiantes : 1 650 000 francs seulement pour leurs possessions du littoral. Quant au Soudan anglais, on sait qu’il ne coûte pas un écu à la couronne britannique, et c’est par un excédent de recettes de plus de 600 000 francs que s’est, en 1897, clos le budget de la Compagnie du Niger.

Certes, de toutes les leçons, celles qu’on aime le moins à recevoir sont celles que nous donnent les rivaux et les adversaires, mais le vrai patriotisme est de ne pas les dédaigner et de savoir en tirer profit. Or, dans l’Afrique occidentale, les Anglais ont montré la méthode qu’il faut suivre. Chez eux, ce n’est pas le soldat qui décide des points où il faut s’installer, c’est le marchand ; ce dernier commence par fonder des comptoirs ; on les protège ensuite s’il y a lieu. Nous, nous opérons en conquérans militaires, nous faisons des colonnes, nous forçons les villes, nous changeons les dynasties, nous installons des garnisons. Les Anglais recherchent avant tout les bons endroits et ne se décident à s’y installer qu’à bon escient ; nous, nous occupons tous les territoires qui sont devant nous, les bons comme les mauvais et les pires ; les régions du littoral comme celles qui sont à plusieurs milliers de kilomètres dans l’intérieur. Peu nous importent les déchets d’hommes et les sacrifices d’argent. Nous sommes tellement habitués à notre manière d’agir qu’il nous est difficile parfois de comprendre l’état d’âme de gens qui ne suivent pas les mêmes méthodes que nous. Lors de l’occupation par nos troupes du Mossi et surtout de Boussa, il y a eu en Angleterre une