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irritation qui a paru hors de toutes proportions avec la nature du différend et telle que nous avons pu en suspecter la sincérité. Elle était sincère cependant. Devant nos incessantes tentatives d’implantation à main armée, les Anglais s’étaient demandé si, pour sauvegarder leur propre domaine, ils n’allaient pas être obligés de nous imiter et de faire des expéditions militaires à leur tour. C’était du coup la ruine de tout leur système colonial. Il allait leur falloir se lancer dans les dépenses stériles ; leurs colonies, qui leur rapportaient, allaient leur coûter. Cette inquiétude générale fut fidèlement interprétée dans le discours prononcé en février dernier par M. Chamberlain. D’après les Anglais, leur système colonial est le bon ; ils trouvent le nôtre frivole, et ils étaient exaspérés d’être entraînés malgré eux dans cette frivolité.

Ce sont de tels procédés qu’il nous faut résolument abandonner. Il ne faut plus suivre les erremens anciens et s’obstiner quand même à pousser toujours plus avant dans les vastes solitudes que nous a reconnues la convention du 14 juin 1898. Si nous persistons dans cette voie, si nous voulons installer, comme dès maintenant d’aucuns nous le conseillent, des agens à Araouan, à 400 kilomètres au nord de Tombouctou, au djebel Ahaggar, dans les oasis d’Asben et d’Adar, au cœur du Sahara, si nous voulons en un mot occuper militairement et administrer plus ou moins directement toutes les oasis et toutes les localités du désert sur une surface de sept millions de kilomètres carrés, il est à craindre que, comme nous le prédisent les Anglais, tout l’or et tout le sang de la France ne puissent suffire à cette tâche. N’y a-t-il pas quelque inconscience et quelque folie à vouloir ainsi assumer de gaieté de cœur la charge d’administrer sans profit pour nous ces espaces immenses ? Qu’est-ce qui nous presse d’ailleurs, maintenant que le Sahara est reconnu nous appartenir en propre, d’aller en faire la conquête ? Désormais chez nous, nous pouvons prendre notre temps pour accomplir cette besogne, et ces « terres légères » ne devraient plus être considérées par nous que comme des réserves qui sauvegardent l’avenir de nos possessions du littoral en empêchant des rivaux ou des adversaires de nous y créer des ennuis.

Loin de chercher à nous étendre ainsi dans ces déserts lointains, la sagesse nous commande de réduire le plus possible les postes que nous avons multipliés outre mesure dans toute la vallée du Niger et sur le littoral. Tous ceux de ces postes qui