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belles tirades classiques, le plus souvent empruntées à Boccace ou à Pétrarque, ou même, au besoin, une savante dissertation d’archéologie romaine. Parfois elles lançaient un trait de la haute piété à la mode. Quelle femme du monde aurait écrit de plus charmans sonnets qu’Imperia ou Veronica France[1] ? » Le jour de la mort d’Imperia, disparaissant dans l’éclat de ses vingt-six ans, fut considéré à Rome comme un jour de deuil officiel. Certains recueils italiens de « Vies de femmes illustres » amalgament les vies de saintes et les vies de courtisanes. C’est qu’en effet on peut mépriser celle qu’on ne prend que comme un instrument de plaisir ; mais, si la Beauté est une religion, la courtisane en est la prêtresse et il faut l’honorer. Dans Athènes, éprise de beauté, le même phénomène s’était déjà produit. Et si le véritable amour n’a point de rapports avec le commerce des sens, il est clair que la courtisane, vierge de cœur, est plus désignée qu’aucune autre femme pour le glorifier.

Le XVIe siècle commençant est marqué par un débordement de sensualité ; il s’achève dans un déchaînement de violence. C’est la banqueroute du féminisme. Certes, les femmes ne pouvaient prévoir les guerres de religion, et ce n’est pas leur faute si leur frêle empire va s’effondrer dans tant de sang. Néanmoins, la rude façon dont les hommes reprennent possession de la scène du monde, comporte son enseignement. Le bruit des arquebusades a son éloquence après tant de philosophisme, de dilettantisme et d’esthétisme. On s’était plu à répéter que la vie doit être joyeuse, que la nature est bonne et qu’il n’est que de se prêter à ses séductions, et les gens « libères et bien nés » se groupaient dans l’abbaye de Thélème sous la règle du bon plaisir. Les événemens se chargèrent de répondre. Ils prouvèrent avec surabondance que dans son fond la nature humaine est féroce, et que, pour en comprimer les instincts, la Beauté est un principe illusoire.

C’est, en effet, le principe lui-même sur lequel repose le féminisme de la Renaissance qui est faux. Ces femmes ne travaillaient que pour elles-mêmes et elles poursuivaient une satisfaction de vanité. Elles se plaisaient au concert des éloges, aux fumées de l’encens que la foule des adorateurs faisait brûler sur leurs autels. Elles se sentaient flattées parce qu’on feignait de mourir d’amour pour elles en bénissant la main par laquelle on souffrait. Toute leur fine psychologie ne leur avait pas fait deviner ce que de tels hommages ont de décevant.

  1. De Maulde, p. 486.