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Révoltées contre les enseignemens séculaires de la religion, elles avaient déclaré que les temps étaient venus et que c’était l’instant de proclamer l’avènement du bonheur. Elles ne savaient pas que de poursuivre le bonheur, c’est le meilleur moyen pour n’y pas atteindre. Quelle était cette folie de croire que le bonheur pût être l’objet de la vie ? Depuis que les hommes passent sur cette terre, qui donc y a rencontré le bonheur ? et s’il a échappé aux recherches les plus passionnées, s’il est, en dépit de tous les efforts, demeuré introuvable, la raison n’en est-elle pas bien claire ? c’est qu’il n’existe pas. Il n’est qu’une illusion de notre sensibilité, une conception de notre esprit, chimérique entre toutes ; et ceux qui ont pris cette chimère pour guide de leur conduite, ont payé leur erreur des pires égaremens. Ce bonheur, elles ont essayé de le réaliser en parant d’élégance le décor de la vie. Elles se sont attachées à ce qui est accessoire et qui trompe, elles ont été dupes des apparences. Le cadre était somptueux ; mais il était vide.

C’est en ce sens que la tentative des femmes de la Renaissance peut servir de leçon à leurs sœurs d’aujourd’hui. Dans ce qu’on appelle de nos jours le féminisme, il entre beaucoup d’élémens. Il y a d’abord une sorte de féminisme économique ou alimentaire, qu’il convient de mettre en dehors du débat. Il faut vivre. Cette proposition, même appliquée aux femmes, reste vraie. Or les hommes ont peu à peu envahi les carrières des femmes. Ils se sont faits modistes et couturiers. On voit dans les magasins de nouveautés de solides gaillards « métrer » délicatement du ruban, ou mouler avec lenteur sur des doigts fins la peau souple des gants. Dans les basses classes, il n’est pas rare que la femme travaille et le mari s’enivre ; dans la bonne société, la profession de coureur de dot ne soulève aucune réprobation. Les femmes commencent à trouver que ces messieurs abusent. Elles songent à se défendre. Il n’y a pas moyen de le leur reprocher. — Mais un autre féminisme, celui qui fait le plus de bruit et s’agite le plus, consiste à réclamer pour les femmes l’indépendance qui en ferait les égales ou pour mieux dire les pareilles des hommes. Les femmes de la Renaissance étaient mieux avisées ; elles avaient bien compris que, pour exercer une action, elles doivent rester femmes. Elles ne protestaient pas davantage contre cette vieille institution du mariage, et elles se rendaient compte qu’à sa destruction elles avaient tout à perdre, sans avoir rien à gagner. Leur tort a été de croire qu’elles pouvaient en adoucir la rudesse et en ennoblir la platitude par des subtilités sentimentales qui ne sont que l’ingénieux déguisement sous lequel la sensualité cherche à se faire accepter. L’erreur qu’elles ont