de quelques milliers de francs pour les familles ouvrières, et le gouvernement n’a pas fait opposition à son vote. Sans doute il ne tolérerait pas qu’une somme quelconque fût votée directement pour les grévistes ; mais du moment que c’est pour leurs familles et que la somme ne doit être versée qu’après la reprise du travail, il ne s’inquiète pas de savoir si cette somme n’est pas dès aujourd’hui escomptée en faveur et pour l’entretien de la grève elle-même, et c’est pourtant ce qui arrive en réalité. On se demande d’où vient l’argent qui alimente la grève et on invente à ce sujet mille légendes, sans paraître se douter qu’il vient en partie du Conseil municipal, c’est-à-dire de la poche des contribuables. Nous reconnaissons d’ailleurs que la somme est relativement peu importante, et que les grévistes n’iraient pas loin s’ils n’avaient pas d’autres ressources ; mais c’est pour le principe que le Conseil municipal la vote, et c’est aussi pour le principe que nous protestons.
Un autre instrument de la grève est la Bourse du travail : elle avait été fermée autrefois par M. Dupuy, et, dans sa prévoyance, M. Bourgeois s’est empressé de la rouvrir lorsqu’il a pris le ministère. La Bourse du travail est une capitale dans la capitale : c’est la capitale des syndicats ouvriers, auxquels on a jugé à propos de donner un centre de ralliement et d’agitation, une espèce de parlement au petit pied. Depuis quelques jours, les environs de la Bourse du travail ont été de beaucoup l’endroit le plus remuant et le plus remué de Paris. Dans la Bourse même, il y avait comme une réunion publique en permanence : au dehors, on voyait un mouvement continuel d’allées et de venues qui témoignait de la fièvre des esprits. C’est de la tribune de la Bourse que partaient des appels sans cesse renouvelés à la solidarité de tous les travailleurs, et des menaces adressées aux entrepreneurs, à la Ville, au gouvernement. On n’y parlait que de la révolution sociale à opérer par la grève générale. On faisait retentir ce tonnerre sur la tête du monde capitaliste pour essayer de lui faire peur. A vrai dire, on n’y a pas réussi. Le mal actuel est déjà très grave, mais il ne paraît pas devoir s’étendre beaucoup plus, et la grève générale reste une utopie où ne se complaît qu’un nombre d’esprits relativement restreint. C’est surtout du côté des ouvriers et des employés de chemins de fer que se tournent ses partisans, sans doute dans la pensée, en interrompant toutes ses communications avec la province, d’isoler Paris et de l’obliger à se suffire à lui-même. Or, comment pourrait-il le faire, surtout si tous les ouvriers parisiens se croisaient les bras ? Mais ce dangereux espoir se réalisera-t-il ?