Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prodigieux développement, il y en a d’autres, et de plus générales, et qui tiennent peut-être à l’essence même du catholicisme. « Les hommes de nos jours sont naturellement peu disposés à croire, — écrivait Tocqueville il y a soixante ans, — mais dès qu’ils ont une religion, ils rencontrent aussitôt en eux-mêmes un instinct caché qui les pousse à leur insu vers le catholicisme. » Il ajoutait prophétiquement : « Si le catholicisme parvenait enfin à se soustraire aux haines politiques qu’il a fait naître, je ne doute presque point que ce même esprit du siècle, qui lui semble si contraire, ne lui devint très favorable, et qu’il ne fit tout à coup de grandes conquêtes[1]. » C’est ce qui s’est vu en Amérique, aux États-Unis, dans le siècle où nous sommes, et c’est ce que je voudrais essayer de montrer.


I

Je ne rappellerais pas ici les tout premiers débuts, assez lointains déjà, du catholicisme aux États-Unis, — c’était vers 1634, — s’ils n’avaient en même temps été les débuts de la tolérance et de la liberté religieuse en Amérique. Les Américains le savent bien ; et leurs historiens ne parlent pas de sir George Calvert, premier lord Baltimore, et de ses deux fils, les fondateurs de la colonie du Maryland, avec moins de gratitude et de patriotique orgueil que des fondateurs eux-mêmes de la Nouvelle-Angleterre (Massachusetts, Rhode-Island, Vermont, New-Hampshire, Maine, Connecticut), les pèlerins du Mayflower. « On ne saurait contester à la colonie de lord Baltimore l’honneur d’avoir été la première société des temps modernes qui ait réalisé l’idée tout entière de la liberté religieuse[2]. » Ainsi s’exprimait, dans son livre sur la Religion aux États-Unis, en 1844, le révérend Robert Baird ; et, n’oubliait-il pas un peu la France d’Henri IV ? Mais la vérité l’obligeait d’ajouter : « Chose d’autant plus admirable que c’était une époque où les puritains de la Nouvelle-Angleterre avaient grand’peine à se tolérer mutuellement, et à tolérer les papistes ; où les Virginiens, dans leur zèle aveugle, ressentaient une égale horreur pour les catholiques et pour les dissidens ; où enfin nul État protestant n’estimait devoir la tolérance aux sectateurs de

  1. Alexis de Tooqueville, De la démocratie en Amérique, t. III, ch. VI.
  2. Robert Baird. De la religion aux États-Unis d’Amérique, traduit de l’anglais par L. Burnier ; Paris, 1844, Delay, I, 127.