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l’esprit, comme si la liberté de l’esprit ne consistait que dans le caprice de son dérèglement, n’ait eu besoin, pour répondre victorieusement à cette accusation, que de la liberté même dont ses tuteurs, — ce sont les « princes des hommes » et les « pasteurs des peuples, » — moins hardis qu’elle, l’avaient longtemps privée, voilà qui est presque miraculeux ! En tout cas, et si détachés que nous puissions être d’elle, hommes d’Etat qui ne songeons qu’à élargir nos « sphères d’influence ; » historiens qui nous vantons de n’être que les témoins impartiaux et désintéressés des faits ; philosophes qui devons savoir qu’il n’y a pas d’effet sans cause, et qu’il ne peut y avoir plus dans l’effet que dans la cause, il nous faut convenir aujourd’hui que, dans cette doctrine, il y avait donc des vertus que nous ne soupçonnions pas. Ses pires ennemis n’ont attaqué en elle qu’un vain fantôme, œuvre lui-même de leur imagination ou de leur fanatisme. Ils n’ont pas su où était le principe de sa force. Ils se sont trompés s’ils ont cru que leur esprit, ou leur éloquence, ou leur exégèse, ou leur science triompherait de ce que l’apôtre appelait son infirmité : Quum infirmor tunc potens sum ; — et l’Eglise catholique d’Amérique n’eût-elle donné que cette leçon au monde, c’en est assez pour l’illustrer à jamais.


Oserai-je dire en terminant qu’après l’Amérique, si quelqu’un a le droit de s’en féliciter, c’est sans doute la France. Lamennais avait dit, le Lamennais d’avant le schisme : « On doit peu s’étonner du progrès du libéralisme, c’est la marche naturelle des choses, et, dans les desseins de la Providence, la préparation au salut. La religion, emprisonnée dans le vieil édifice apostolique… ne reprendra son ascendant qu’en recouvrant sa liberté, et c’est là le service que ses ennemis, instrumens aveugles d’une puissance qu’ils méconnaissent, ont reçu d’en haut l’ordre de lui rendre. Tout se prépare pour une grande époque de restauration sociale, mais qui devra, comme il arrive toujours, être achetée par beaucoup de travaux, de souffrances et de sacrifices. Pour nous, qui ne serons plus là quand elle s’accomplira, saluons de loin cette espérance, comme les prophètes celle du Messie, et supplions Dieu de répandre parmi les fidèles, et le clergé surtout, les lumières qu’exige sa position présente[1]. » Quelques années plus tard,

  1. Lettre à l’abbé de Hercé, 16 juillet 1830, citée par M. A. Roussel dans son livre sur Lamennais ; Rennes, 1892, Caillière. Cf. une belle lettre à M. de Senfft, datée du 18 avril 1831.