Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdrait, si on en retranchait soit les Reisen im Oslen des Bahr et Djebel, soit Ueber Handel und Verkehr bei den Waganda und Wanyoro, soit enfin tant de mémoires qui restent notre meilleure source d’information sur toute une partie de l’Afrique équatoriale. Les conservateurs du British Muséum, ceux des musées d’histoire naturelle de Vienne et de Hambourg, dont Emin a enrichi les collections de tant de précieux spécimens, partagent certainement cette opinion. Son goût de la recherche eut cependant des inconvéniens. La science le séparait de ses soldats, surtout de ses officiers, qui s’étonnaient des besognes étranges auxquelles s’appliquait le gouverneur, et le sentaient très loin d’eux. Elle contribua partiellement à créer l’esprit d’indiscipline qui se développa parmi ses troupes à partir de 1884. Elle le consolait trop facilement de ses déboires. Il y a deux attitudes devant les tristesses de la vie : la résignation ou bien la résistance, qui triomphe du malheur ; Emin se résignait toujours. Contre les déceptions que lui infligeaient les hommes, il cherchait un asile dans le temple de la méditation scientifique. Il prenait vite son parti de l’ineptie ou de l’improbité d’un fonctionnaire en mesurant un crâne ou en disséquant un oiseau.

Néanmoins, il possédait assez de connaissances et de qualités pour remplir sa charge aussi bien et même mieux que tout autre gouverneur de province égyptienne. Il parlait couramment l’arabe, le lisait, l’écrivait même. A Khartoum, quelques hauts personnages s’exprimant volontiers en turc, Emin, qui ne s’embarrassait pas pour si peu, leur donnait la réplique dans la même langue. Les fonctionnaires du Soudan égyptien professaient pour la plupart la religion musulmane ; sans être de fait mahométan, lui aussi se donnait pour tel, se conformait aux rites prescrits, affectait de feuilleter souvent le Koran, était enfin muni de connaissances religieuses assez fortes pour tenir tête à tout indiscret qui se serait avisé de suspecter son orthodoxie. Il n’y avait pas jusqu’à ce pseudonyme d’Emin sous lequel le docteur Schnitzer se dissimulait, qui ne donnât le change sur sa véritable identité.

D’un Oriental, Emin possédait plus que les apparences. Son arrivée au Soudan avait été précédée d’un séjour de onze ans en Turquie. Longtemps secrétaire et confident d’un pacha investi de hautes fonctions, il avait eu le temps de faire son éducation, d’apprendre les coutumes de l’Orient, de savoir surtout la