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attendait cinq ou six mois la réponse à une question qui aurait dû être décidée sans délai. En Égypte, les personnages en place ne s’intéressaient pas au Haut Nil. Mehemet-Ali visita le Soudan en 1838, et Saïd-Pacha en 1857, mais jamais Ismaïl-Pacha ou Tewfik ne daignèrent venir à Lado. Emin protestait contre cette indifférence. « Nous faisons pourtant toujours partie du monde civilisé, » disait-il. Il finissait par se décourager. « Pauvres provinces équatoriales ! s’écriait-il, ne fera-t-on donc jamais rien pour elles ? »


IV. — L’OCCUPATION ÉGYPTIENNE DU BAHR-EL-GHASAL

La conquête égyptienne ne se borna pas aux pays situés dans le voisinage immédiat du Nil Blanc, elle s’étendit, ou plutôt tenta de s’étendre beaucoup plus à l’ouest, dans les contrées traversées au nord par les affluens les plus occidentaux du Bahr-el-Ghasal, Tondj, Soueh, Waou, au sud par le Mbomou, le Mbili, et leurs affluens. Il y eut donc deux provinces égyptiennes : l’Equatoria et le Bahr-el-Ghasal[1].

Au Caire, dans une maison retirée, un vieillard, dont on ne prononce pas le nom sans une nuance de mystère, Ziber-Pacha, continue à vivre. Le premier il a déchiré le voile épais qui couvrait les régions du Bahr-el-Ghasal. Originaire d’Halfaya sur le Nil, issu de la noble tribu des Djaalin, il était, il y a quarante ans, employé d’un marchand d’esclaves de Khartoum. Tout en cherchant fortune, il arriva au Bahr-el-Ghasal, il se rendit indépendant et commença à trafiquer pour son propre compte. Energique, intelligent, habile, au demeurant dénué de tout scrupule, il devint rapidement le maître tout-puissant d’une immense région. Au milieu, il édifia une place forte, à laquelle il donna son nom : Dem Ziber. Il possédait plus de trente zéribas, d’où ses lieutenans dirigeaient des razzias vers les pays du sud et de l’ouest. Chaque année il envoyait aux marchés du Soudan et d’Égypte, sous l’œil bienveillant des fonctionnaires, ivoire, plumes d’autruches et esclaves. Jaloux et inquiet de cette puissance qui grandissait aux confins du Soudan, le gouvernement égyptien chercha à la briser. Mais, la force ne lui ayant pas réussi,

  1. La limite entre ces deux provinces ne fut jamais nettement fixée. Emin demanda, à plusieurs reprises, au gouverneur général du Soudan de vouloir bien la déterminer. Mais on n’acquiesça jamais à son désir.