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lettre, qui vous parviendra par l’intermédiaire de sir John Kirk, consul général de Sa Majesté britannique à Zanzibar, via Zanzibar, a pour objet de vous laisser une complète liberté d’action : si vous estimez plus sûr pour vous et vos hommes de vous retirer et de revenir en Égypte, sir John Kirk et le sultan de Zanzibar écriront aux chefs des différentes tribus qui sont sur la route et seront attentifs à vous faciliter la retraite.

Vous êtes autorisé à vous procurer de l’argent en faisant des traites sur sir John Kirk. Je vous répète que vous avez carte blanche pour vous en tirer de votre mieux, vous et vos hommes. La seule voie que vous puissiez prendre si vous êtes résolu à quitter Gondokoro est celle qui aboutit à Zanzibar. Dès que vous aurez pris une décision, communiquez-la-moi.

Le Président du conseil,

NUBAR-PACHA.


Ainsi abandonné, Emin vécut tant bien que mal jusqu’au 10 août 1889, jour de son départ. Il évacua la plupart des postes situés à l’ouest et à l’est du Nil, pour concentrer ses forces le long du fleuve. Pour se préserver d’une attaque éventuelle des mahdistes, il se transporta lui-même à Ouadelaï, à 250 kilomètres au sud de Lado. Il tira parti de son mieux des ressources de la contrée. Cependant, on était retombé à Ouadelaï dans une sorte de demi-barbarie. « Nous ne connaissons plus que par le souvenir les besoins d’une vie civilisée, » écrit Emin. Plus de bougie, plus de savon, plus de sucre, plus de café. Les servantes négresses avaient repris leurs anciennes habitudes. Les derniers lambeaux de cotonnades dont on les avait décemment vêtues s’étaient détachés d’elles, et chaque matin elles allaient cueillir des feuilles d’arbre pour s’en couvrir. Emin souffrait de la disette de livres plus que de toute autre privation. « Les jours traînent bien lourdement, malgré le travail incessant par lequel je tâche de m’étourdir ; qu’est-ce que je donnerais aujourd’hui pour un livre scientifique ou même pour quelque mauvais roman ? » Il enviait les missionnaires de l’Ouganda qui recevaient régulièrement leurs courriers, et lit des efforts répétés pour organiser un système de communications entre Zanzibar et Ouadelaï.

D’Égypte, aucune nouvelle, aucun secours. On ne saurait compter pour tel sa participation financière à l’expédition dirigée par Stanley dont le but réel était, personne ne le conteste plus, même en Angleterre, non de ravitailler les garnisons soudanaises, mais d’en débarrasser le pays, d’enlever Emin, et de laisser le champ libre à d’autres ambitions.

En s’abstenant de donner une marque sincère d’intérêt à ses