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fonctionnaires et à ses soldats, abandonnés à 3 000 kilomètres du Caire, le gouvernement khédivial a prouvé que depuis le 27 mai 1885 il se considérait comme affranchi de tout devoir à l’égard des pays jadis égyptiens du Haut Nil.


Les connaissances géographiques ont bénéficié de la tentative d’expansion coloniale des Egyptiens dans l’Afrique équatoriale. Grâce à la sécurité que les Européens savaient trouver dans le pays, plusieurs importans voyages y ont été accomplis. Felkin et Wilson l’ont, en 1879, traversé de l’Ounyoro au Darfour. Casati a parcouru en tous sens le Makraka et le Mombouttou, et si, par suite de la perte totale de ses notes, ses efforts n’ont pas obtenu une juste récompense, on ne saurait équitablement les oublier. Junker, enfin, mérite pour son exploration de l’Ouellé et ses admirables descriptions l’éternelle reconnaissance des géographes.

Les notions nouvelles rapportées par ces voyageurs, jointes à celles que l’on doit à Emin, constitueront le résultat, indirect sans doute, le plus clair cependant, de l’occupation égyptienne.

Elle n’a en effet été ni avantageuse pour l’Egypte, ni profitable aux indigènes. La valeur des quelques milliers de kilogrammes d’ivoire arrivés de Lado ou de Dem Ziber à Khartoum n’a certainement pas compensé les frais énormes de l’expédition de Baker, et les subventions annuelles reçues par les gouverneurs des deux provinces. Cette occupation a été un luxe pour l’Egypte. Cependant, sous son couvert et sans qu’elle en ait bénéficié, les populations ont été impitoyablement exploitées. Elle ne les a protégées ni dans leur liberté, ni dans la possession de leurs biens. Elle n’a même pas eu la gloire, en les convertissant au mahométisme, de les élever à un degré plus haut de civilisation. Il y avait de nombreux faquirs dans les postes, et même, au Bahr-el-Ghasal, un iman officiellement rémunéré : à eux tous ils n’ont pas fait cinquante prosélytes nègres.

Toute trace matérielle de l’occupation égyptienne a disparu. Ouadelaï, résidence d’Emin, Mechra, port du Bahr-el-Ghasal, ne sont plus que des souvenirs. L’Egypte n’a pas laissé d’empreinte plus profonde sur les choses que sur les hommes.


HENRI DEHERAIN.