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touchaient beaucoup moins que les complaisances d’un homme célèbre, qui consentait à l’initier à ses grandes et petites affaires. C’était, de toutes les conquêtes, de toutes les bonnes fortunes qui pouvaient lui échoir, celle dont il était le plus friand, et d’année en année s’allongeait la liste de ses illustres amis. La plupart lui avaient accordé leur confiance du premier coup ; il les avait rencontrés dans un raout, dans un bal, dans un dîner de cérémonie, les avait séduits par les agrémens de son esprit naturel et facile ; on éprouvait le besoin de se revoir, de s’écrire et il pouvait dire : En voilà pour la vie.

Ce bourgeois de Norwich, que ni l’éclat de sa naissance ni sa fortune ne signalaient à l’attention publique, était fier de ses succès mondains, et il s’en étonnait. Il lui semblait étrange qu’à vingt ans, il fût intimement lié avec des ambassadeurs, des hommes d’État, des poètes, des peintres, des musiciens d’une renommée européenne ; qu’à vingt-six ans, il entretînt des relations de société avec tous les membres du cabinet anglais, à deux exceptions près. Il connaissait tout le monde en Angleterre et, durant ses fréquens séjours en France, il voyait toutes les portes s’ouvrir devant lui. Il écrivait de Paris, en 1840 : « J’ai dîné hier avec Zamoyski, en compagnie d’Urquhart, ce folâtre derviche politique, qui, je suis fâché de le dire, a infecté de ses erreurs de meilleures têtes que la sienne ; j’écoutai ses fatidiques harangues, qui m’amusèrent. Dans la soirée, je me rendis à Auteuil, où Thiers me reçut avec un grand empressement et causa longuement avec moi. Je rencontrai chez lui Cousin, Mignet, Léon de Malleville ; j’y dînerai aujourd’hui. Cousin me dit : « Mon cher Henry, vivez, vivez un peu avec Thiers et moi. » Dans le fait, on peut dire que le cabinet français me donne la table et le couvert. » Parmi tous les rôles qu’on peut jouer dans la grande comédie humaine, ses préférences étaient pour celui de confident ; il possédait toutes les qualités de l’emploi. Le marquis de Lansdowne et lord Clarendon lui expliquaient les dessous de leur politique ; jusqu’à la fin, il sera en correspondance réglée avec M. Guizot et avec Tocqueville, qui lui ouvriront leur cœur, et en 1885, le Comte de Paris lui révélera ses espérances et ses projets, dans des lettres qui ne sont pas parmi les moins intéressantes qu’ait publiées M. Laughton.

Il joignait à des principes dont il ne démordait pas, et qui étaient pour lui des dogmes, une souplesse d’esprit et de caractère qui lui permettait de comprendre facilement les choses du dehors et de les juger sans parti pris. Il eut toujours le pied léger, la passion des voyages, mais il n’était pas de ces Anglais qui portent partout l’Angleterre avec