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à personne que les conditions bizarres où la démission du ministre de la Guerre a été donnée portaient atteinte à la suprématie du pouvoir civil : il semble plutôt que le général Chanoine ait reconnu cette suprématie à sa manière, c’est-à-dire avec quelque excès, en remettant sa démission à la Chambre, qu’il a très incorrectement qualifiée de souveraine. La situation est trop grave pour qu’on ne la regarde pas en face ; le mal est trop dangereux pour qu’on le traite seulement par des dérivatifs. Il y a quelques jours, on a parlé dans certains journaux d’un prétendu complot militaire, dont il a bien fallu reconnaître le lendemain la parfaite inanité ; et d’autres journaux ont accusé l’entourage de M. le président du Conseil d’avoir fait circuler ce bruit destiné à produire quelque sensation. Nous n’avons rien cru de ce qu’on disait, ni de la nouvelle elle-même, ni de son origine ; mais il semble que la Chambre des députés ait été plus crédule. Elle a eu tort. On risque de susciter un danger à force de le dénoncer. Ce serait une très fâcheuse habitude, dans une affaire comme celle qui se déroule devant nous et qui, malheureusement, n’est pas close, que d’affirmer à tout propos et hors de propos, comme si elle était sérieusement menacée, la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. Cette proposition est trop banale pour n’être pas accueillie par la majorité, ou même par l’unanimité de la Chambre, mais elle appelle aussitôt une adjonction qui ressemble à un correctif.

Oui, l’armée doit obéir au pouvoir civil : mais, de son côté, le pouvoir civil doit protéger l’armée et la défendre contre toutes les attaques. A-t-il rempli ce devoir ? La question se posait si naturellement après le premier vote qu’il a bien fallu y répondre, et la réponse ne pouvait être que négative. Depuis le jour où la procédure de révision a été ouverte, les attaques contre l’armée et les injures contre quelques-uns des chefs ont redoublé d’énergie. Que leur a-t-on opposé ? Une circulaire ministérielle, et une circulaire qui n’a pas été appliquée.

Il faut dire un mot de ce document qui a pris une place considérable dans le débat. C’est au moment même où l’affaire Dreyfus était déférée à la Cour de cassation, et où M. le général Chanoine entrait au ministère de la Guerre, que M. Sarrien a adressé aux procureurs généraux une circulaire qu’on avait crue importante. M. le garde des Sceaux demandait à ces magistrats de lui signaler toutes les attaques, injures, offenses qui seraient dirigées contre l’armée ou contre ses chefs. L’opinion avait été à peu près unanime à l’approuver, mais, depuis, aucune poursuite sérieuse n’a eu lieu, et ce n’est pourtant pas l’occasion qui en a manqué. Des explications étaient nécessaires ;