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largement la porte à l’instruction acquise et au travail heureux, venait se joindre à cet amour du changement et du nouveau qui a toujours joué un si grand rôle dans notre histoire. Le gouvernement ainsi attaqué était, d’ailleurs, pour un trop grand nombre d’esprits prévenus, un gouvernement de paix à tout prix et d’exploitation de la fortune publique. Il serait difficile de donner une idée de l’ignorance crédule et presque unanime qui accueillait de telles accusations, auxquelles le fatal dédain de M. Guizot pour l’opinion laissait un si libre cours, et qui avaient pu emprunter à quelques fautes un prétexte plausible. Enfin ces calomnies, fruits d’un aveuglement presque général et d’exagérations calculées, trouvaient un encouragement tout naturel dans des souffrances populaires nées d’une mauvaise récolte et de la cherté du pain.

On sait quelles étaient mes inquiétudes personnelles, comment je les avais exposées plus d’une fois au roi, quel compte je croyais qu’il aurait dû eu tenir, et on comprend encore mieux comment, le 23 février, ces inquiétudes étaient devenues plus vives que jamais, et dans quel sentiment je me réveillai avec tout Paris pour voir se dérouler les premières scènes du drame.

Ma matinée fut consacrée à entendre les rapports de mon major et de ses trois adjudans, en même temps que les informations que plusieurs officiers de ma légion (qui embrassait tout Paris dans la formation de ses escadrons) m’apportaient des divers quartiers. Il n’en était pas qui ne ânssent confirmer de sombres pronostics. Aussi, je ne me rendis pas aux Tuileries, où je n’avais rien à dire ou à apprendre de nouveau sur les illusions du roi, sur son immuable volonté. Convaincu que les difficultés de la journée devaient surtout avoir la place publique pour théâtre, je revêtis mon costume de colonel de la garde nationale à cheval, et me rendis auprès du commandant supérieur, le général Jacqueminot, qui se trouvait alors doublement agité par une fièvre tenace et par les communications qu’il recevait à chaque instant. J’y rencontrai les autres chefs de légion venant réclamer des instructions, et y apportant successivement les mêmes impressions que moi.

J’avais souvent entendu dire que Jacqueminot était un des plus brillans colonels d’avant-garde que l’armée impériale eût comptés dans ses rangs, mais qu’il était loin dêtre un général d’armée. Je n’en eus que trop la confirmation dans cette funeste journée où il s’agissait bien moins de prendre part à une action