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d’abord avec une infinie douceur : « Venez ! » chante la voix robuste, et les deux faibles voix, un peu tremblantes de résonner seules dans le silence, répondent : « Nous voici. » — « Venez ! » répète le prêtre. — « Nous voici, reprennent les vierges, nous voici de tout notre cœur. » — « Venez, mes filles, écoutez-moi ; je vous enseignerai la crainte du Seigneur. » — « Nous voici de tout notre cœur. Seigneur, nous te craignons et nous cherchons à voir ta face. Seigneur, que nous ne soyons pas confondues, mais qu’il nous soit fait selon ta mansuétude et selon l’abondance de tes miséricordes. » Chaque fois l’appel est plus attirant ; chaque fois aussi la réponse plus docile et comme plus charmée ; chaque fois enfin la cantilène se développe davantage et trace dans l’air une plus élégante arabesque, un cercle plus vaste et plus harmonieux.

En quelques paroles très simples, très brèves, les vœux sont prononcés et reçus. En paroles seulement, car ici, comme pendant la messe, il semble que la musique soit bannie de l’instant et de l’acte même du sacrifice, pour laisser au verbe seul toute la grandeur et toute l’efficacité. Les deux jeunes filles ont signé la charte qui les lie. Elles l’ont tenue contre leur poitrine et présentée aux regards de tous. Les bras et les yeux élevés, elles s’écrient trois fois, avec une intonation toujours plus forte, toujours plus haute : « Recevez-moi, Seigneur, selon votre parole, afin que je vive et que mon attente ne soit pas confondue. » La musique a soudain changé de caractère et d’accent. Incertaine tout à l’heure, errante et souvent suspendue, elle se fixe à présent dans une formule de psalmodie très ferme et très arrêtée. Elle conclut toniquement ; elle est le signe, non plus d’une aspiration et d’une approche, mais d’une arrivée et d’un accomplissement. Alors le chœur intervient pour la première fois. Invisibles derrière la grille, les moniales répondent à leurs nouvelles sœurs ; les profondeurs vides, que le regard oblique entrevoit à peine, s’emplissent d’un murmure harmonieux. Est-il rien de plus saisissant ? Le prêtre s’est assis, entouré de ses assistans à genoux. À ses pieds, la face contre terre, les deux jeunes filles sont étendues sans mouvement. Sur le tapis de fête on voit seulement la tache noire de leur robe et la tache blanche de leur voile. Tout se tait, hormis les voix cachées qui ne cessent de faire tomber et comme pleuvoir à travers les barreaux la fraîche rosée des litanies. « Priez pour nous ! Exaucez-nous ! Délivrez-nous ! »