Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/351

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Suppliques, adjurations à la miséricorde et à la puissance divines contre tous les périls, fût-ce les plus effroyables, contre tous les malheurs, contre tous les péchés, le courant puissant et doux de la prière passe et repasse sans cesse au-dessus des deux humbles corps gisans et qui semblent inanimés.

Ils se raniment enfin et se relèvent. Les derniers rites s’accomplissent. Les religieuses reçoivent tour à tour des mains du célébrant le manteau, le voile, l’anneau et la couronne. En quel drame lyrique, fût-ce une Alceste, une Iphigénie, une voix sacerdotale laissa-t-elle tomber sur le front incliné d’une femme d’aussi magnifiques paroles ! Quel récitatif, et de quel grand prêtre, égala jamais en grandeur, en beauté, en hardiesse même la « Préface » de la profession bénédictine ! « Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, hôte bienveillant des corps purs, ami des âmes sans tache, jetez un regard sur vos servantes. Comment leur esprit, enveloppé de chair mortelle, triompherait-il de la loi de la nature, de la liberté licencieuse, de la force de l’habitude et des aiguillons de la jeunesse, si vous, Seigneur, dans votre clémence, vous n’allumiez en elles l’amour de la virginité, si vous n’alimentiez cette passion dans leur cœur, si vous ne leur dispensiez votre force !… La bienheureuse virginité a reconnu son auteur et, se faisant l’émule de l’intégrité des anges, elle s’est vouée à la couche de celui-là seul qui veut être l’époux de la virginité éternelle, comme il en a été le fils. » — Viennent ensuite des rapprochemens ou des antithèses, des chocs ou parfois des rimes d’idées et de mots dans la manière des Pères ou de Bossuet. « Mettez en elles, Seigneur, par le don de votre esprit, la modestie prudente, la bonté sage, la douceur grave, la liberté chaste. Que leur amour soit brûlant et qu’elles n’aiment rien que vous. Qu’elles vivent louablement et qu’elles ne souhaitent pas la louange. Que dans la sainteté de leurs corps et la pureté de leurs âmes elles vous glorifient. Que par amour elles vous craignent et qu’elles vous servent par amour. Soyez leur honneur, leur joie et leur volonté. Soyez-leur dans le chagrin la consolation, dans l’incertitude le conseil, dans l’injustice la défense, dans l’épreuve la patience, dans la pauvreté l’abondance, dans le jeûne la nourriture, et dans la maladie la guérison. » Longtemps, longtemps ainsi la prose éloquente se déroule, et, pour la soutenir et la contenir à fois, pour en embrasser les périodes les plus amples comme pour en resserrer encore les plus concises antithèses, que faut-il ?