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Les chants ecclésiastiques et les chants orientaux se ressemblent souvent par l’intonation ou la cadence, par la fantaisie et le caprice des mélismes ou des vocalises, surtout par ces modes qui nous paraissent étranges et qui règlent également la psalmodie d’un moine et la cantilène que l’Arabe soupire sur sa flûte de roseau. La terre où la vérité parut, où naquit la foi, est aussi la terre où flotte un rêve éternel, et dans la musique de la foi quelque chose a pu rester du rêve. Cela donne à tel répons ou à telle antienne une grâce, une langueur étrange, exotique même. « Hiems transiit, turtur canit, vineæ florentes redolent. » Quand le Cantique des Cantiques murmurait doucement dans la blanche chapelle des moniales, ce n’était pas seulement la poésie, mais la musique aussi, qui chantait comme la tourterelle, embaumait comme la vigne en fleurs.

Aucun charme ne manque à ces chants, pas même celui du mystère. Il n’en est pas un dont on connaisse l’auteur. Ils sont anonymes, et par conséquent ils sont humbles. Une vertu s’ajoute à leur beauté, l’accroît encore et la dégage. Plus de biographie possible ; nous ne savons plus rien du moment, du milieu, ni de la race. Sans qu’un nom glorieux la recommande, ou qu’un nom obscur la desserve, l’œuvre est seule à parler, à rendre témoignage ; rien ne permet qu’on la rapproche de l’artiste, soit pour les rattacher, soit pour les opposer l’un à l’autre. Tout ce qu’elle eut d’un homme a péri ; elle ne survit plus que par ce qui lui vint de Dieu.

Dieu, qui lui donna d’être humble, lui donna aussi d’être populaire, de ressembler à cette foule pour laquelle et peut-être par laquelle elle fut créée. Entre les chants de l’Eglise et les chansons du peuple au moyen âge, les échanges durent être nombreux. Des traces en subsistent encore. Un docteur en ces matières a signalé de remarquables analogies. L’Ave maris stella ressemble à la vieille complainte : Quand Jean Renaud de guerre revint. La psalmodie de l’in exitu Israel de Ægypto n’est pas très différente d’une chanson nuptiale du Berry :

Mon père est en chagrin,
Ma mère a grande peine ;
Moi, je suis une fille de trop grand merci
Pour ouvrir ma porte à cette heure-ci[1].
  1. Voir une conférence de M. Julien Tiersot, publiée dans la Tribune de Saint-Gervais de mai 1898.