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songeraient à partir, eux aussi, pour la conquête de la toison d’or et de les mettre à même de ne se décider qu’en connaissance de cause ? Voilà pourquoi il n’a pas paru superflu de reprendre, à un an de distance, l’étude qui, l’automne dernier, avait été commencée ici même avec tant d’autorité[1]. Les pages qui vont suivre seront encore loin d’avoir épuisé le sujet.


I

La révélation des richesses cachées dans le vaste bassin du Yukon est chose toute récente. En 1858, c’étaient seulement les biefs supérieurs de la rivière Fraser, dans la Colombie britannique, que les chercheurs d’or se disputaient, et l’on sait à quels mécomptes aboutirent, de ce côté, les illusions de la première heure[2]. Longeant toujours les Montagnes Rocheuses, les prospecteurs avaient rencontré successivement, sans s’en contenter, les gisemens des monts Caribou, ceux de l’Omineca, ceux des monts Cassiar ; et leur avant-garde, de plus en plus réduite, se trouvait ainsi entraînée vers les sources du fleuve géant dont un lit majestueux et mille affluens font comme le roi de l’immense presqu’île par où l’Amérique septentrionale semble vouloir aller toucher l’Asie. Ces hardis pionniers avaient laissé derrière eux tant de montagnes, tant de lacs, tant de rivières qu’on devait les croire perdus sans retour, lorsqu’un nouveau coup de théâtre vint appeler subitement l’attention publique vers les lointaines solitudes où ils s’étaient enfoncés.

Qu’était-il arrivé ? Le 15 juillet 1897, un bateau à vapeur, l’Excelsior, débarquait à San-Francisco une bande de mineurs qui, dans des sacs, des bas, des bouteilles, des couvertures, portaient plus de mille kilogrammes de belle poudre d’or. Le surlendemain, 17 juillet, un autre steamer, le Portland, débarquait à Seattle une seconde escouade avec un chargement plus important encore. Tous venaient des mêmes parages et ils racontaient avec moins d’émoi les souffrances qu’ils avaient éprouvées que le triomphe inespéré par lequel, en juillet et août 1896, ils s’en étaient trouvés si largement dédommagés. C’était près d’un gave ignoré, le

  1. Voir, dans la Revue du 1er octobre 1897, les Mines d’or de l’Alaska et la Colombie britannique, par M. C. de Varigny.
  2. La Colombie britannique n’en a pas moins produit, depuis 1858, pour 300 millions d’or et l’industrie minière est loin d’y avoir dit son dernier mot.