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vaincre ! Que d’épreuves à supporter ensuite et que de mauvaises chances à courir ! C’est le revers de la médaille, et nous nous garderons d’imiter les prospectus d’outre-mer qui se font une loi de n’en rien laisser voir.

Rappelons d’abord que, pour aller sans folie chercher fortune au Yukon, il faut déjà ne pas être trop dénué. On peut estimer à une demi-douzaine de milliers de francs le capital indispensable à l’artisan français qui voudrait tenter l’entreprise : 400 francs pour passer du Havre à New-York ; 500 francs pour passer de New-York au Pacifique ; près de2 000 francs pour acheter et empaqueter sûrement tous les vêtemens, tous les approvisionnemens, tous les outils dont l’expérience démontre la nécessité et dont les règlemens locaux veulent qu’on justifie ; 200 francs pour passer de Vancouver à Skagway ou à Dyea ; encore 1 500 francs au moins, même en se mettant à plusieurs, pour se transporter, corps et biens, jusqu’au cœur de la région minière. Ces dernières prévisions sont même susceptibles d’une sensible plus-value quand le voyageur, ne parlant pas l’anglais, se trouve de ce chef plus facile à exploiter. Enfin il y a le chapitre des accidens, qui reste rarement page blanche.

Cette tonne ou cette demi-tonne de bagage par tête, qui est tout à la fois, pour l’émigrant, un viatique obligatoire et un obsédant impedimentum, étonnerait les faucheurs belges et les terrassiers piémontais à qui un mouchoir de couleur suffit pour serrer ce qu’ils emportent de chez eux quand ils viennent travailler chez nous. Mais aussi quelle différence de ciel et de vie ! Les commerçais de San Francisco se sont réunis pour organiser, à titre de leçon de choses, une exposition complète de tout l’attirail, de tout l’outfit — c’est le mot consacré — dont il faut se munir quand on part pour le nord. En vérité, ce n’est pas peu de chose.

Dans le rayon du vêtement dominent, comme de juste, la Lainé et la fourrure : flanelles, tricots, ceintures, gros gilets, couvertures de toutes sortes ; peaux d’ours ou de lynx, peaux de daims doublées de peaux d’agneaux ; peaux de phoques ou de marsouins. Avec cela des moustiquaires, comme à Nice, et des complets de toile huilée, comme à Terre-Neuve ; des gants, des chaussettes, des chaussons, des brodequins gommés, des souliers de gros cuir et des bottes de caoutchouc s’emboîtant les unes dans les autres ; des cache-nez, des passe-montagnes, des pelisses emprisonnant le corps des pieds à la tête ; des sacs fourrés où, pour dormir,