cimetières s’y peuplent vite ; et, de si fraîche date que soit cette agglomération humaine, elle se composera bientôt, elle aussi, de plus de morts que de vivans.
Laissons le temps faire son œuvre. C’est le grand régulateur : il saura mettre toutes choses au point. Ces grands pays blancs du nord-ouest, qui n’avaient pas d’histoire et qui n’en étaient pas plus heureux pour cela, vont avoir désormais un rôle à jouer dans l’évolution sociale. Ils ne connaissaient autrefois, comme hôtes, que quelques tribus d’Indiens dégénérés, quelques explorateurs, quelques pêcheurs, quelques chasseurs en quête de fourrures. Il leur a suffi pour se faire prendre d’assaut de laisser voir qu’il y avait de l’or sous leur neige et qu’on pouvait, d’un coup de dé, y devenir millionnaire. Ils sont bien une douzaine qui ont eu cette chance : pauvres millionnaires, d’ailleurs, perclus de douleurs pour la plupart et dont les moroses confidences attestent une fois encore que, même subitement acquise, l’opulence ne fait pas le bonheur. Les demi-succès sont naturellement plus nombreux : quelques centaines de citoyens des États-Unis, quelques douzaines de Canadiens, plusieurs Anglais, plusieurs Suédois ou Norvégiens, plusieurs Russes, plusieurs Français, surtout des Savoisiens, sont en voie de réaliser là-bas, et moins lentement qu’ailleurs, de ces petites fortunes bourgeoises que le train naturel des affaires ne refuse guère, dans leurs patries respectives, à un travailleur avisé, actif et économe. Quant aux insuccès, ils ne se comptent plus et n’ont que trop souvent abouti à un dénouement tragique. La proportion en grandira encore avec les progrès d’une immigration qui depuis deux ans dépasse toute mesure.
À ces contagieux entraînemens nous ne pouvons malheureusement opposer que d’assez vaines remontrances, et les pouvoirs publics sont eux-mêmes à peu près désarmés[1] ; mais les leçons de l’expérience finiront par s’imposer et, comme dans un aimant, ce pôle qui attire deviendra, à un moment donné, le pôle qui repousse.
- ↑ Voir pourtant l’excellente circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets, en date du 5 mai 1898.