Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qu’on en ait infléchi la courbure avec le même soin qu’un géographe trace la ligne des récifs dans un bras de mer dangereux. On voyait, parmi les dessins de Rembrandt dernièrement mis au jour à Amsterdam, un homme couché qui, de la tête au bout des pieds, semblait fait d’un même trait, comme d’un trait de plume, par un coup de paraphe. C’était de la simplification poussée jusqu’au paradoxe. Mais ce trait était juste et nul n’aura jamais l’idée de lui reprocher, qu’étant juste, il fût trop rare ou trop généralisateur.

D’ailleurs, il s’en faut que le dessin de Puvis de Chavannes soit partout, et notamment là où il est défectueux, une synthèse. Le mot « simplification » est bientôt dit, mais ce qu’il faudrait montrer, c’est qu’il s’applique exactement à ces académies où l’on voit très soigneusement figurés les boules des biceps, les échelons du grand dentelé, les creux et les renflemens de la pointe du coude, toutes choses utiles, mais non indispensables à la signification totale d’une figure. Là où l’on déplore le plus d’erreurs dans le dessin du grand artiste, ce n’est point là où il y a le plus de « simplification, » mais, d’ordinaire, où il se trouve le plus de détails. Par exemple, dans l’Automne, on peut imaginer la ligne du bras de la femme à la corbeille, beaucoup moins onduleuse et beaucoup plus simplifiée qu’elle n’est. Seulement on peut l’imaginer aussi mieux dessinée. En sorte que plaider la nécessité de la simplification, c’est plaider une cause juste, mais ce n’est pas plaider toujours celle de Puvis de Chavannes.

On dit encore qu’il eût été capable de dessiner de grandes académies comme Ingres, et que ses esquisses en témoignent. On les a exposées, il y a quelques années, chez M. Durand-Ruel et, plus récemment, au Champ-de-Mars. Elles n’ont rien témoigné du tout, d’abord parce qu’elles n’accusaient point la maîtrise qu’on avait dite, et ensuite parce que la plupart, étant de dimensions très restreintes, ne montraient que par approximation le talent du peintre à construire une grande figure. Tout le monde sait ce qui se passe quand on met au carré une petite esquisse d’un tour juste et d’un « à peu près » correct. Les défauts qui y étaient peu perceptibles, les membres trop longs ou trop courts de quelques millimètres, grandissant, s’affirment, tandis que le mouvement général qui, ramassé en un petit espace, paraissait original, peut devenir banal, absurde ou dégingandé. Une esquisse est un rêve, un tableau est une réalisation. Il faut qu’un artiste réalise son rêve.