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d’autres époques l’intensité et la direction des forces qui préparent des changemens nouveaux.

Mais, où je vais, la vue du présent ne suffit pas à donner l’intelligence de l’avenir. L’heure actuelle n’est qu’une scène d’un drame commencé depuis des siècles ; le génie de races et de religions puissantes, traditionnelles et contraires, se combat, se combine et dure dans la mobilité successive des faits, et les nouveautés mêmes sont des conséquences. Pour comprendre les rivalités contemporaines, on pourrait d’abord interroger les origines lointaines, et, remontant au moyen âge pour assister à la naissance de l’influence morale de la France en Orient, s’attarder ensuite au XVIe siècle pour y voir éclore notre ascendant diplomatique et nos prérogatives juridiques : c’est un travail que peut-être nous ferons quelque jour. Mais, transporté tout d’une traite de Paris dans ce caravansérail européen qu’est Constantinople, nous préférons franchir l’histoire comme nous avons franchi l’espace, et c’est au cœur des dix dernières années que nous nous placerons immédiatement. Etudier les influences successives qui, dans cette période courte, mais remplie, se sont combattues en Orient et tantôt supplantées, tantôt juxtaposées ; suivre, dans le bassin oriental de la Méditerranée, la répercussion des diverses combinaisons d’alliances sur lesquelles repose l’Europe continentale ; distinguer entre les États qui pratiquèrent, là-bas, une politique autonome, et ceux qui conformèrent strictement leur politique aux exigences de leurs alliances ; et débrouiller, ainsi, la complexité des interventions européennes dans ces vastes régions que jadis on appelait la France du Levant et que l’Europe aujourd’hui semble avoir choisies comme enjeu de ses dissensions : tel sera le but de cette étude. En date comme en importance, parmi les puissances qui sont venues balancer la nôtre à la faveur des récens événemens, l’Allemagne est la première.


I

C’est en 1876 que la légation de Prusse à Constantinople devint l’ambassade d’Allemagne ; c’est en 1878 que le nouvel Empire prit parti dans les affaires orientales, déchira, d’accord avec l’Angleterre, le traité de San Stefano, au Congrès de Berlin, et, moitié intérêt pour l’Autriche, moitié crainte de la puissance russe, se trouva favorable à la Turquie. Il tira aussitôt de cette attitude