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de son milieu, à revêtir l’âme d’un autre temps. On ne peut exiger cet effort ni d’une foule, ni surtout de la foule assemblée au théâtre afin de s’y divertir. Celle-ci n’est accessible qu’à l’impression immédiate. Elle juge avec des idées et des sentimens d’aujourd’hui les choses et les gens d’autrefois. Un événement historique, dès qu’il passe par le théâtre, s’y dénature et nous apparaît sous un faux jour. Aussi, l’emploi de l’histoire au théâtre ne s’adresse-t-il qu’à la badauderie du public : nous avons le goût du bibelot ; nous sommes curieux de pénétrer dans l’intimité des gens connus ; au surplus, nous sommes facilement dupes, étant très ignorans. L’histoire sert encore à nous dépayser, à renouveler par l’agrément du cadre une intrigue trop banale, une situation trop usée. Nous l’acceptons donc assez volontiers si l’auteur n’a eu d’autre projet que de nous amuser. Mais s’il a eu lui-même foi dans son œuvre, s’il l’a écrite avec sérieux, s’il lui a prêté une portée morale ou sociale, c’est alors que le genre historique est intolérable.

De là vient qu’on écoute avec plaisir le vaudeville historique de MM. Lenôtre et Martin : Colinette. Il est clair que les auteurs ne se sont pas abusés sur l’importance de leur aimable pièce, qu’ils l’ont composée sans prétention et sans y chercher malice. Docilement ils se sont mis à l’école de Scribe ; ils lui ont emprunté ses procédés, en se contentant de flatter notre goût pour les minutieuses restitutions archéologiques. De vieux gentilshommes, retour de l’émigration, un beau colonel qui, à toute heure du jour ou de la nuit, se promène en uniforme dans ses appartemens, un général de l’Empire traqué par la police, une dame d’honneur s’essayant à porter le manteau de cour, le soir de sa présentation, Louis XVIII podagre, sceptique, tournant des madrigaux et citant des vers d’Horace, ce sont des images falotes et douces. Nous feuilletons sans ennui cet album d’anciennes gravures. L’histoire de l’évasion de La Valette nous étant contée au premier acte, il s’agit de répéter cette évasion célèbre, au dernier acte, sous les yeux et avec la connivence du roi. On y arrive à l’aide de combinaisons ingénieuses et laborieuses. C’est comme une charade dont on a eu soin de nous donner d’abord le mot. S’il y a dans l’agencement lui-même de l’intrigue de furieuses invraisemblances, nous faisons exprès de ne pas nous en apercevoir. Une jeune femme honnête et spirituelle qui berne un vieux diplomate, la vertu qui triomphe avec bonne grâce de la rouerie, un prince qui désavoue sa police et veille à la sécurité des conspirateurs, voilà des spectacles auxquels nous avons trop rarement l’occasion d’assister. Nous réclamons des pièces morales et gaies ; sachons louer les écrivains qui consentent à nous