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en donner. Colinette est un charmant spécimen de théâtre en famille.

Mlle Yahne est une très gracieuse Colinette. M. Chelles a composé avec beaucoup de goût le personnage de Louis XVIII. M. Burguet a de la jeunesse et de la chaleur dans le rôle du marquis de Rouvray. L’ensemble est des plus satisfaisans.


En passant de Colinette à Struensée, nous passons du vaudeville au drame. C’est le genre historique se haussant au grand art. C’est terrible. Je me hâte d’ailleurs de reconnaître la valeur de l’œuvre et de constater le bon accueil qu’elle a reçu. En écrivant Struensée, M. Paul Meurice a témoigné une fois de plus des qualités les plus rares : patience dans l’effort, élévation morale, souci de l’art. La Comédie-Française a monté la pièce avec beaucoup de soin. Le public a écouté avec faveur six actes en vers. Il faut s’incliner devant ce remarquable concours de bonnes volontés. Ce drame est de ceux qu’on a le devoir de discuter sans indulgence. Il prête à réfléchir. Donc, nous arrivons au théâtre, comme d’honnêtes gens, informés sans doute des révolutions de Danemark, mais par l’opéra de Meyerbeer et le Bertrand et Raton de Scribe, autant que par la lecture des mémoires du temps. Au prologue, le jeune médecin Jean Struensée expose à son père et à sa cousine ses rêves humanitaires ; il va courir le monde afin d’appliquer les idées nouvelles. L’auberge où il fait ses adieux aux siens est celle même où le sieur Freytag, lancé par Frédéric à la poursuite de Voltaire, vint lui « réclamer l’œuvre de poésie du roi son maître. » Voltaire y paraît en effet, moribond comme toujours et comme toujours en veine de sarcasmes. Cette rencontre sera pour Struensée un souvenir inoubliable. Il fait vœu d’être désormais le chevalier errant de la philosophie voltairienne. Il arrive à Copenhague, et il a la bonne fortune d’alléger les souffrances du roi Christian VII, usé de débauches, roi fainéant et dément que torture la douleur physique. Au second acte, nous retrouvons Struensée dans tout l’éclat de la faveur et de la prospérité. Il aime la reine et il en est aimé. Il est premier ministre. Il travaille à réformer l’État. Comme la Bourgogne en 1293, le Danemark est heureux. Sur ces entrefaites, un conspirateur, que Struensée a fait arrêter et qui n’est autre que Rantzau, le ministre dont il a pris la place, lui rapporte qu’on incrimine ses relations avec la reine. Aussitôt Struensée a pris son parti : il veut disparaître, il veut mourir. Nous pensons que voilà une résolution bien soudaine et dont l’utilité nous échappe. Mais apparemment, c’est de l’histoire. Désormais Struensée n’aura plus qu’une idée, l’idée fixe de se faire condamner à mort. C’est