M. Antonini, c’est qu’il a eu, ce soir-là, une crise « d’obnubilation du jugement et de suspension de la conscience, » en d’autres termes un « équivalent épileptique » des mieux accentués. Et je suis prêt à l’admettre ; mais je songe à la prodigieuse quantité « d’équivalens épileptiques » qui, tous les soirs, se produisent de par le monde, notamment dans les restaurans de nuit, à la suite de soupers un peu trop copieux. Encore n’y a-t-il pas à comparer, à ce point de vue, nos mœurs bourgeoises d’à présent avec celles des jeunes viveurs du siècle passé, pour qui l’action de rosser un valet, après boire, était la chose au monde la plus naturelle ; et l’on peut même s’étonner qu’Alfieri, durant ces années de désœuvrement et de grossière débauche, n’ait eu que cette seule crise « de suspension de la conscience. » Il nous en aurait raconté maintes autres, sans doute, s’il ne s’était souvenu tout à coup, en écrivant ses Mémoires, qu’il était républicain, et que son valet était son « égal. » — « Au reste, ajoute-t-il en terminant le récit de son aventure, jamais je n’ai levé la main sur aucun de mes domestiques que comme j’aurais pu faire avec mon égal. Jamais je ne me suis servi ni d’un bâton, ni d’une arme, mais seulement de mes mains, ou du premier meuble que je trouvais à ma portée, ainsi qu’il arrive souvent aux jeunes gens dans les transports de leur colère. »
Mais ce n’est encore là qu’un « équivalent épileptique » : voici maintenant « la véritable épilepsie psycho-motrice, » voici le trait que M. Antonini et M. Cognetti ne se lassent point de citer et de rappeler et de nous offrir comme la « confirmation décisive de la doctrine lombrosienne. » Laissons de nouveau la parole à Alfieri : « Pendant le long espace de temps que durèrent mes relations amoureuses avec une femme indigne de moi, je ne faisais qu’enrager du matin au soir, ce qui finit même par me rendre malade. Vers la fin de 1773 je fus atteint d’un mal singulier. Je commençai par vomir pendant trente-six heures : et quand mon estomac n’eut plus rien à rejeter, le vomissement devint un spasme si horrible du diaphragme qu’il me fut impossible d’avaler même une goutte d’eau. Les médecins craignirent une inflammation, et me saignèrent au pied. Aussitôt l’effort pour vomir cessa, mais il fut remplacé par un tremblement général, avec des secousses si fortes que je donnais tantôt de la tête contre le chevet de mon lit, et tantôt des pieds et des coudes contre tout ce qui se rencontrait. Je passai dans cet état cinq jours entiers, durant lesquels je n’avalai que quelques gouttes d’eau. Enfin, le sixième jour, on me mit dans un bain très chaud, où on me laissa six heures : cela calma les convulsions. On me fit continuer ces bains : et une fois