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Nous avons déjà signalé à plus d’une reprise cette exaltation croissante des esprits de l’autre côté du détroit. « La grande majorité de l’opinion anglaise, a déclaré lord Salisbury, abhorre la guerre. » Nous voulons le croire ; mais elle l’abhorrait, il y a quelques années encore, d’une haine plus pratique. Elle avait confiance dans d’autres moyens pour augmenter la puissance et la richesse de l’Angleterre. La guerre restait à ses yeux cette dernière raison des peuples et des rois, qu’on doit toujours tenir prête, mais à laquelle il ne faut pourtant recourir presque jamais. Dans ces temps, encore si rapprochés de nous, un discours comme celui du Guild Hall aurait été impossible. Quand on pense qu’aujourd’hui il a pu être prononcé, et qu’il Ta été précisément par lord Salisbury, on est bien forcé de reconnaître qu’il y a quelque chose de changé dans l’esprit public. Et puisqu’on parle si volontiers de nuages et de tempêtes, peut-être n’est-ce là qu’une bourrasque passagère ; nous l’espérons même fermement ; le ciel, un moment voilé, pourra se rasséréner ; mais il est des avertissemens qu’on serait coupable de négliger, et celui-là est du nombre. Nous avons à en prendre notre part, bien qu’il ne s’applique pas seulement à nous, et que l’incident de Fachoda semble un peu rapetissé dans le vaste tableau qu’a tracé lord Salisbury. Quoi qu’il en soit, après avoir examiné la situation dans son ensemble, il faut reporter nos regards sur nous-mêmes, scruter notre politique antérieure, et nous demander quelle est celle que nous devons suivre désormais. Ici encore, par son discours, lord Salisbury peut faciliter nos recherches.

« Souvenons-nous, dit-il, que nous sommes une grande nation coloniale et maritime. Il y a eu avant nous de grandes nations coloniales et maritimes. Quatre ou cinq d’entre elles sont tombées parce qu’elles avaient des frontières terrestres par lesquelles l’ennemi a pu s’approcher, et par lesquelles leur capitale a pu être frappée. » Cette observation a une plus grande portée dans le fond que dans la forme. Si on s’arrêtait à la forme, on se demanderait combien il peut rester de grandes nations maritimes et commerciales, puisque quatre ou cinq ont déjà cessé de l’être, et il faudrait conclure qu’il ne reste que l’Angleterre. Cette conclusion serait pourtant excessive. L’Angleterre est la plus grande des nations commerciales et maritimes, mais elle n’est pas la seule. Au surplus, il ne suffit pas qu’une nation soit frappée dans sa capitale pour être perdue sans retour. Nous sommes entrés pour notre compte dans presque toutes les capitales de l’Europe, ce dont les pays envahis se sont parfaitement relevés. A notre tour, notre capitale a été atteinte à trois reprises différentes,