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voyage que vous faites, monsieur, et ce qui m’en fait redouter l’événement. »

L’événement s’était produit tel que l’avait prévu le bon oncle, et maintenant le neveu, confus et meurtri, roulait sur le chemin de Blois parmi l’exode qui emportait, avec la reine mère et sa cour, la fleur de ses espérances juvéniles.

Il semble bien que, dans les derniers temps de la vie du maréchal d’Ancre, il avait eu quelque pressentiment des événemens tragiques qui se préparaient. Faisant ses confidences au nonce Bentivoglio et, parlant de la faveur des Concini, il disait « qu’une pareille violence ne pouvait durer ; » il eût même voulu se garer. Lui et Barbin auraient manifesté quelque envie de quitter la place. Mais, tout de même, emportés par l’ardeur de la lutte et par la confiance en soi qui n’abandonne guère l’homme public, ils étaient restés ; ils avaient poursuivi ardemment, jusqu’à la dernière minute, le succès ; et, au moment où ils croyaient le tenir, la bourrasque s’était abattue sur eux et les avait enveloppés, bousculés, roulés dans son tourbillon.

Maintenant Concini était mort. Sa femme était à la Bastille, Barbin au Fort-l’Evèque, la reine régente et sa cour en déroute sur le chemin de Blois, et l’évêque de Luçon réfléchissait, au cours du voyage qui, si lentement et par de si mauvais chemins, l’emmenait vers un exil dont il était bien difficile d’apercevoir la fin.

Oui, son oncle avait raison, les temps étaient mauvais pour les ambitieux pressés. Toute la jeune équipe qui s’était embarquée, confiante dans l’étoile du Concini, avait mal calculé. Cet Italien voulait savoir « jusqu’où la fortune pouvait mener un homme. » Il le savait maintenant. Et les autres aussi le savaient. L’horrible spectacle ! Ce Paris pendant ces huit jours ! Et ce silence terrible du Roi, cette dissimulation ! Et cet abandon de tous ; et la fureur du peuple ! ces faces hideuses ; ce corps déchiqueté ! On ne pouvait y penser, et le carrosse qui emportait le paquet des femmes et des prêtres en était encore tout tremblant.

L’évêque, cependant, se perdait dans ses réflexions. Et nous savons bien à quoi il pensait, car il se confia depuis au papier. Il pensait au sort du maréchal d’Ancre ; il cherchait, dans cet exemple terrible, des leçons, et de cet effet redoutable les causes. Cet homme n’était pas sans mérite. Il était brave, libéral, adroit aux exercices, beau joueur et beau diseur, plus intelligent même