Chacun sait qu’il n’y a pas de pays plus éloignés l’un de l’autre, malgré la rapidité du trajet et la facilité des communications, que ne le sont la France et l’Angleterre. En quelques heures on se trouve transporté aux antipodes ; les caractères, les mœurs, les habitudes, diffèrent absolument à droite et à gauche de la Manche. Il en est de même par-delà l’Océan, entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre ; je l’éprouvai en passant du Canada dans le Maine et le Massachusetts, du pays des coureurs de bois à celui des Pères Pèlerins. Une nuit de voyage seulement et vous abordez un autre monde, mais vous avez plus vite fait encore d’aller de Calais à Folkestone, et la surprise est la même.
Je quitte Montréal le 25 mai 1897[1], sous des torrens de pluie qui ne me permettent de rien découvrir du paysage noyé dans l’eau plus encore que dans les ténèbres. Cependant je continue à voir. Des visages, des sites qui depuis quelques semaines me sont devenus familiers, défilent, photographiés, pour ainsi dire, dans ma mémoire. Et cette évocation continue dans le sommeil. Je rêve encore du Saint-Laurent et du Saguenay, de Sainte-Anne, de la Montmorency et des rapides de Lachine quand déjà se dressent devant moi les belles découpures des White Mountains, frappées par les premiers rayons du soleil. Une éblouissante matinée de printemps succède au déluge. Les bois de pins s’étagent sur des
- ↑ Voyez la Revue du 1er mai et du 15 juillet.