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Memorial Day, l’inauguration du monument de Robert Gould Shaw ajoutant un intérêt particulier à la solennité. Nous nous transportons donc en ville pour un jour.


II. — LE MEMORIAL DAY

On connaît à Paris le monument de Shaw, puisqu’une réduction en a été envoyée par le sculpteur Saint-Gaudens à notre dernière exposition du Champ-de-Mars ; l’histoire de l’œuvre et son but sont admirables, au moins autant que l’œuvre elle-même.

Quand la Chambre du Massachusetts vota, en 1865, une statue équestre à la mémoire de Shaw et ouvrit une souscription pour rassembler les fonds nécessaires, elle eut soin de spécifier qu’il ne s’agissait pas d’un simple hommage de reconnaissance publique rendu à un soldat mort glorieusement pour la patrie, mais de la commémoration d’un grand fait historique, qui n’était autre que le triomphe définitif de la liberté. En effet, le sacrifice que le jeune colonel Shaw fit de ses préjugés et de sa vie en conduisant le premier régiment nègre à l’assaut du fort Wagner, marque la date du véritable affranchissement des esclaves appelés à l’honneur de défendre leur pays.

Ce Bostonien de race, aussi fier de ses origines que pourrait l’être aucun patricien du vieux monde, et dont le « sang bleu » est sans cesse rappelé dans les panégyriques dont il est l’objet, accepta de son plein gré ce qui autour de lui passait pour un opprobre. A vingt-six ans, marié de la veille, au seuil d’une carrière qui s’annonçait brillante, il quitta le régiment où il s’était distingué déjà pour tenter la douteuse aventure derrière laquelle il y avait pour lui une question de principe. Il brava le ridicule qui s’attachait à cette entreprise et ce fut peut-être le moment où il lui fallut le plus de courage. Au grand nombre il semblait impossible que le nègre pût avoir, comme le blanc, le sentiment du devoir militaire auquel rien ne l’avait préparé ; une écrasante majorité s’élevait contre la formation des régimens de couleur ; le président Lincoln lui-même ne se prononçait pas franchement en leur faveur, mais blâme et raillerie durent faire silence le jour où Shaw criant : Onward ! En avant ! tomba percé de coups dans les tranchées du fort Wagner avec la moitié de ses hommes. Une pareille hécatombe était la meilleure des réponses, et, pour compléter la beauté, le sens profond du drame, l’ennemi enterra Shaw, en signe de