Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieux cimetière colonial de Concord, — les puritains mirent une ardeur farouche à effacer tous les symboles. Leurs fils y sont revenus, et peut-être l’influence d’Emerson y a-t-elle été pour beaucoup. Le Sleepy-Hollow tout entier semble consacré à sa mémoire. Il le domine du sommet d’un monticule escarpé.

Nous gravissons le sentier tournant que veinent les racines saillantes des grands pins, et nous atteignons le bloc énorme de quartz rose, un fragment de glacier qui n’a de rival au monde que le rocher battu par les flots, mausolée de Chateaubriand. Par cette belle journée, le soleil fait étinceler le cristal vierge, pur et lumineux comme l’esprit même dont il est l’emblème. Au pied, sous un tertre sans nom, s’efface la femme du grand homme. Les pierres tombales des autres membres de la famille sont dispersées alentour. Celle d’un enfant chéri, mort à cinq ans, porte les vers dignes d’une anthologie grecque que son père lui consacra dans la pièce intitulée Threnody :

The hyacinthine boy, for whom
Morn well might break and April bloom,
The gracious boy who did adorn
The world where into he was born
And by his countenance repay
The favor of the loving day,
Has disappeared from the day’s eye.

Sur le bloc de granit qui recouvre les restes du fidèle disciple, Henry Thoreau, est jetée aujourd’hui une gerbe d’orchis roses dont le nom revenait fréquemment sous sa plume. Heureux l’écrivain qui s’impose ainsi à des souvenirs de tendresse !

De petites bornes en marbre blanc, frappées de simples initiales, indiquent à peine la sépulture des Alcott.

Les enfans de Mme Ripley, l’admirable femme du révérend Samuel Ripley, oncle d’Emerson, ont inscrit sur la tombe de leur mère un fragment de la vie d’Agricola. Elle aimait à lire Tacite en latin, comme elle lisait Théocrite en grec et les auteurs français, italiens ou allemands chacun dans sa langue, avec une égale facilité. Emerson disait cependant qu’elle était encore supérieure à tout ce qu’elle savait. Dévorée du besoin d’apprendre, elle vécut en compagnie de ses richesses littéraires et scientifiques dans un état de contentement que rien ne pouvait lui faire perdre et en suffisant aux devoirs domestiques les plus multiples. Jamais l’idée de produire rien de personnel ne lui vint, elle était trop