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on se promène sous de hautes voûtes de verdure dont nulle part je n’ai rencontré l’équivalent. Les maisons sont enguirlandées de feuillage, tapissées de « lierre de Boston. » L’une des plus belles est celle de Timothée Pickering, adjudant général des armées de Washington, l’un des chefs du parti fédéral aux États-Unis ; une plaque de bronze au-dessus de la porte nous rappelle ses mérites.

Auprès des hôtels particuliers de date récente, les habitations primitives se font reconnaître à leur cheminée unique, à leurs pignons bizarres, à leurs toits en croupe, à pans rompus, gambrel roof ou lintoo roof ; ce dernier indique les pans inégaux, descendant d’un côté jusqu’à terre ou il s’en faut de peu. Le premier étage en saillie servait de position pour tirer sur les Indiens quand ils attaquaient. Une de ces cabanes vermoulues est celle de Brigitte Bishop, la première sorcière exécutée, personne quelque peu excentrique, à qui l’on pouvait reprocher de vendre du cidre et d’offrir aux consommateurs les séductions d’un jeu de galet, le seul que se permissent les moins intransigeans d’entre les puritains. En outre, elle portait un corsage rouge à l’époque où les couleurs sombres étaient recommandées ; ces infractions ne lui parurent pas suffisantes cependant pour motiver son arrestation, car elle s’arma d’une bêche contre ses accusateurs ; mais, les voisins ayant prétendu qu’elle les paralysait en braquant sur eux le mauvais œil, ce fut assez pour convaincre de son crime des inquisiteurs calvinistes tels que Jonathan Corwin, John Haworth et le ministre Noyés, groupe sinistre de terribles honnêtes gens que vint renforcer ensuite le grand théologien de Boston, Cotton Mathers. On la pendit. On pendit bien un pauvre chien convaincu de sorcellerie ! Une petite fille de quatre ans fut tout près de subir le même sort. Mais ce ne sont là que des épisodes insignifians. Arvedson nous fait loucher les pièces authentiques du grand drame dans une salle du Palais de justice. Là nous nous trouvons devant les procès-verbaux des séances, précieusement conservés avec quelques épingles rouillées produites comme pièces à conviction. Ces grosses signatures laborieuses, ces autographes en caractères vieillots évoquent pour nous la présence même des personnages : les signes appuyés de l’entêtement, le tremblement nerveux de la peur sont visibles et comme vivans. Une page est tournée au nom de Corey, rappelant la plus affreuse peut-être de toutes ces exécutions.