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différens objets relatifs aux sorcières. En écoutant bien, il semble que de faibles échos répètent encore les questions ineptes posées à ces malheureuses : — Quand vous chevauchez vos bâtons, allez-vous à travers les arbres ou par-dessus ? — Peut-on s’étonner que l’imbécillité des uns ait produit la folie des autres et que les prétendus suppôts de Satan aient fini quelquefois par avouer, sans avoir en réalité rien commis, ou par accuser le voisin, ce qui était le meilleur moyen d’obtenir miséricorde ?

Cependant le pharmacien, qui a très avantageusement remplacé magistrats et sorcières dans la vieille maison, nous vend une friandise particulière au pays, le Gibraltar, bonbon fortement parfumé à la menthe et dont le nom tient sans doute à la dureté de roc qui le distingue. Tandis que nous faisons connaissance avec lui, on est allé quérir le fameux George Arvedson, « seul guide compétent » de la ville de Salem. Pour mieux dire, Salem appartient à George Arvedson et il croit en être personnellement l’un des traits principaux, puisque, dès les premières politesses, il avertit ses cliens que la généalogie des Arvedson, d’origine suédoise, remonte au XVe siècle, ce qui ne l’empêche pas de se contenter d’un dollar l’heure. Il condescend même à vous procurer des voitures et vous commande au besoin un déjeuner à « la vieille boulangerie, » Old Bakery, que le fait d’être antérieure à 1 690 recommande apparemment à l’estime des gourmets. Lorsqu’on revient d’Amérique, par parenthèse, les objets anciens font horreur, on voudrait proscrire le mot vieux du dictionnaire, tant le culte sans aucun discernement de la vieillerie, quelle qu’elle soit, vous a souvent offusqué. Notre guide américano-scandinave sait bien ce qu’il fait, le matin, en rattachant ses origines au XVe siècle.

D’un air d’autorité, il nous conduit à travers la ville en disant : « Je reconnais tout de suite la nationalité des voyageurs à ceci : les Français sont curieux avant tout des sorcières, les Anglais me questionnent sur Hawthorne. » Mais il ne doute pas un instant que les visiteurs, de quelque pays qu’ils viennent, ne s’intéressent à sa propre maison, la maison des Arvedson, qu’il montre avec fierté en annonçant qu’elle fut celle de son arrière-grand-père et que deux fois il y vit le jour, car, étant devenu aveugle, il recouvra la vue.

Salem est, somme toute, une très jolie ville, malgré ses allures un peu somnolentes et sa réputation tragique. L’orme, cette parure forestière de l’Amérique, s’y manifeste avec splendeur ;