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n’oublions pas que nous sommes en 1897, et continuons notre promenade.

A peu de distance, sur le chemin ombreux au-dessus duquel s’arrondit une espèce de porche frangé de lianes luxuriantes, voici une autre villa tout en tourelles et en pignons revêtus de bardeaux noirs qui rappellent exactement l’armure de schiste ajustée aux ressauts et aux encorbellemens de certaines maisons bretonnes ; un arceau est jeté au-dessus de la cour. On passe sous cette voûte que rougit une vigne vierge, et on entre dans un intérieur décoré de tapisseries de Beauvais, cadre charmant dédié à l’étude, — la plus confortable des bibliothèques l’atteste, — et à la rêverie surtout. Comment ne pas se perdre dans la contemplation des panoramas découverts de chaque fenêtre ? Tous les genres de vues existent ici : vue sur la pleine mer, sur la campagne, sur les rochers sauvages, sur un parterre soigneusement entretenu qui côtoie un parc naturel que la main des hommes n’a jamais touché. La mer bat cette riche végétation bien à l’abri sur son piédestal de granit.

Si vous le préférez, nous pouvons nous diriger encore vers des vergers que Daubigny eût voulu peindre, où les pommiers projettent leur ombre sur un tapis de gazon. Et toujours la grève est voisine, mélodieuse et douce. Magnolia, malgré les fleurs qui lui ont donné son nom, malgré sa belle plage en forme de croissant, malgré les rochers chantés par Longfellow, — malgré l’amusant voisinage d’un campement d’Indiens du Maine, devenus fort pacifiques et sans autre intention de pillage que leur petit commerce de paniers joliment tressés en herbes odorantes, — Magnolia, malgré ses charmes variés, n’a pas l’extrême distinction de Beverly, enveloppé dans des bois admirables où ses villas trouvent l’illusion de l’isolement. Quelques-unes sont de véritables châteaux, d’autres affectent de n’être que des maisonnettes, mais partout se manifeste un goût bien individuel et une recherche exquise. La différence entre la plage de Magnolia et ses deux voisines, Beverly et Manchester, c’est qu’elle n’est pas accaparée par une coterie de choix, qu’elle s’ouvre davantage aux simples baigneurs, qu’on y trouve beaucoup de maisons à louer, beaucoup d’hôtels. Beverly et Manchester au contraire sont des diminutifs de Boston, aussi exclusifs, aussi repliés sur eux-mêmes, aussi fermés aux intrus que peut l’être Boston lui-même.

De la piazza, où je viens de passer quelques semaines,