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j’assiste aux feux de joie du 4 Juillet, la fête nationale. Peut-être est-elle bruyante dans les villes comme l’est le 14 Juillet à Paris ; mais ici elle n’est que poétique. Tous les jardins qui couvrent les tertres s’illuminent ; on dirait des vers luisans dans les bordures, des fruits de feu suspendus aux branches. Puis l’énorme brasier s’allume à l’entrée du village, projetant sur la mer des lueurs d’incendie, tandis que d’innombrables fusées rivalisent avec les étoiles et réduisent à néant l’éclat des mouches phosphorescentes, fire-flics, qui défrayent notre illumination quotidienne. Chaque soir la piazza est pailletée d’étincelles, et les phares qui défendent la côte, entre autres les deux jumeaux que l’on nomme les Deux Sœurs, brillent les uns fixes, les autres à éclipse. Mais aujourd’hui tout est en feu pour fêter l’ère de la liberté américaine. Les hôtes des bois voisins en sont épouvantés, et le lendemain nous trouvons collées aux vitres diverses espèces de papillons admirables peints de nuances que les plus belles fleurs pourraient envier ; éperdus, ils sont venus se réfugier sous l’auvent de la piazza.

La population de Manchester n’a rien épargné pour cette manifestation patriotique. Curieux petit village qui possède une bibliothèque digne d’une ville importante et des églises-chalets de toutes les dénominations : baptiste, unitarienne, congrégationatiste, épiscopale, catholique. Je vais à cette dernière, où j’entends un bon prêtre extraordinairement énergique tonner contre les bicyclettes, en accusant les jeunes filles de n’avoir que des roues dans la tête, jeu de mot qui fait sourire ces demoiselles, des petites ouvrières en chaussures, wheel voulant dire, par extension, étourderie, billevesée. C’est le jour de la première communion qui est donnée à cinq ou six enfans dont le type quasi arabe me frappe tout d’abord ; on me l’explique ; une colonie portugaise a fourni jadis cet appoint, d’ailleurs peu considérable, de catholiques. Aux petites filles noires comme des mouches et couronnées de roses blanches, le prêtre fait promettre solennellement de ne boire aucune boisson fermentée jusqu’à leur majorité. Ce post-scriptum au renouvellement des vœux du baptême m’étonne un peu. Les catholiques ne sont ni nombreux, ni riches, ni très éclairés à Manchester. Ils appartiennent tous à la classe inférieure, je le devinerais en regardant les vieux, mais la mise des jeunes filles me ferait supposer tout le contraire. Une bonne partie de ce qu’elles gagnent passe en chiffons.