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Ne pouvant cependant, sans s’exposer au ridicule, séquestrer brusquement sa fille et la dérober aux regards, elle résolut au moins de se montrer le plus rarement possible en public avec elle, la confia, sous de frivoles prétextes, à des mains étrangères, chargea des amies de rencontre de la conduire au bal et au spectacle[1]. Ces précautions furent vaines et cette prudence inefficace. Le péril redouté n’en fondit pas moins sur sa tête ; et, par une ironie sanglante, le coup le plus sensible porté à son orgueil lui vint du côté même où elle devait le moins l’attendre.

La constance en amour, — rare en tous temps, — n’était, ainsi qu’on sait, guère en honneur chez nos aïeux du dernier siècle. Le prince de Monaco ne se distinguait pas de ses contemporains. Une liaison de cinq années commençait à peser à son indépendance : plus jeune que sa maîtresse, il songeait à secouer un joug que l’humeur de la hautaine marquise rendait trop souvent incommode. Dans cette disposition, la beauté de Marie-Catherine lui fut, semble-t-il, une révélation imprévue ; l’admiration du public parisien éveilla subitement la sienne ; une flamme nouvelle s’alluma dans ses veines. L’accès intime dont il jouissait dans la maison de la mère lui fournit l’occasion d’entretenir avec la fille un commerce familier et dangereux ; et ce qui pour bien d’autres eût paru un obstacle ne fut, pour cette âme sans scrupule, qu’une facilité de plus. Mme de la Ferté-Imbault, — esprit philosophique et moraliste experte, — disserte savamment sur les motifs secrets de la conduite du prince. En obtenant la main de Mlle de Brignole, Honoré III, affirme-t-elle, comptait « satisfaire du même coup ses trois principaux vices : » son avarice, à cause des grands biens de la famille ; sa galanterie, par la possession d’une des plus jolies filles de son temps ; sa jalousie enfin, car, « en épousant une voisine, il la tenait plus à sa discrétion, » dans son palais de Monaco, que s’il eût recherché quelque princesse française, protégée par la cour de Versailles. Sur ces calculs subtils, sur les moyens qu’employa Honoré pour réaliser sa conquête, j’avoue ne pas avoir d’informations précises. Un roué de quarante ans, hardi et de conscience large, n’est pas à court de ressources pour s’emparer de l’âme d’une jeune fille sans défense. Le fait indiscutable est que j’ai tenu dans mes mains, — et non sans émotion, — un court billet jauni, d’une écriture tremblée, encore presque

  1. Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault.