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enfantine : « Moi soussignée, y lit-on, je déclare et promets à M. le prince de Monaco de ne jamais épouser d’autre que lui, quelque chose qu’il puisse arriver, ni jamais écouter aucune proposition qui pût tendre à me dégager. A Paris, ce 29 novembre 1755 — Marie-Catherine de Brignole. » Quand elle signait ainsi, à l’insu de ses parens, sous une obsession que l’on devine, l’engagement solennel qui liait sa destinée, Marie-Catherine avait seize ans depuis quelques semaines. De ces lignes, de cet instant, date tout le malheur de sa vie !

Si peu exemplaire que fût, comme épouse et comme mère, Mme de Brignole, on ne peut s’empêcher de la plaindre, le jour où lui fut révélée, sans doute par l’aveu de sa fille, la trahison odieuse dont elle était victime. Outrage à sa fierté, cruelle déception d’amour, jalousie d’une rivale innocente et qu’il lui était interdit de haïr, tout contribuait à rendre la plaie plus douloureuse, le coup plus pénétrant. Du caractère qu’on lui connaît, il est aisé d’imaginer ce que dut être le premier éclat de sa fureur. Nul témoignage direct n’en est parvenu jusqu’à nous, mais certaines phrases du prince, dans des lettres postérieures, laissent deviner toute l’amertume des reproches qu’il eut à subir. « Vous m’accusez de tant de choses affreuses, écrit-il plusieurs mois après, que je suis bien enfin forcé de me défendre. Peut-être même me trouverais-je en droit de vous attaquer !… — Vous finissez avec une bonté d’âme infinie, — dit-il plus loin avec dépit, — par me plaindre de ce que je ne suis qu’un sot. Je vous remercie de la pitié que je vous inspire ; réservez-la pour une meilleure occasion. » Lorsque le prince de Monaco décochait ces fleurettes à son ancienne maîtresse, l’irritation de la marquise était pourtant envoie de s’apaiser. Honoré venait de renoncer, de son propre mouvement, à l’idée d’un mariage révoltant et funeste ; son ambition, plus forte que sa passion même, le détournait de Marie-Catherine pour le jeter vers une autre proie.

L’espoir constamment poursuivi de retrouver à la cour de France le rang de ses prédécesseurs le poussait en effet, au mois de juillet 1756, à rechercher la main de Mlle de la Vallière[1], qu’il n’avait d’ailleurs jamais vue, mais qui, dit-il lui-même, « par le grand crédit de sa famille, était plus à portée que personne de

  1. Adrienne-Émilie-Félicité, fille de Louis-César de La Baume le Blanc, duc de la Vallière, et de Julie de Crussol d’Uzès. Elle épousa, à la fin de cette même année, le duc de Châtillon.