gaîment, et passa deux grandes heures à entendre sa fille jouer du clavecin[1]. » La paix semblait donc faite, et l’on aurait pu croire, après tant de traverses, cette affaire épineuse décidément conclue. Il n’en était rien cependant. L’humeur fantasque d’Honoré, son avidité insatiable, furent plus d’une fois encore à la veille de tout rompre ; la rédaction du contrat notamment réserva de fâcheuses surprises. De ces difficultés, de ces contestations mesquines, je me garderai bien de donner le détail. Le seul point à noter, parmi toutes ces chicanes, est le chagrin bruyant de la marquise, lorsqu’elle voit ses chères espérances en danger de faire naufrage. L’expression en est si outrée qu’elle toucherait au comique, si la sincérité n’y éclatait à chaque ligne : « Je suis dans un état affreux, écrit-elle au prince ; je n’ose plus voir ma fille, que lui dirais-je ?… Je suis pénétrée de douleur et de confusion ; la plume me tombe des mains ; je ne vois que des horreurs !… — Mon courage est épuisé, confie-t-elle à un autre correspondant ; si le prince persiste dans ses exigences, tout sera donc fini, tout, hormis mon désespoir qui ne finira qu’avec ma vie ! »
Le calme d’Honoré contraste curieusement avec ces hyperboles. Sans s’arrêter aux invectives, il poursuit froidement son chemin. Les instructions qu’il adresse à son représentant à Gênes sont sèches, nettes, positives, comme un exploit d’huissier. « Si M. de Brignole, lui mande-t-il, ne vous donne pas dès demain une acceptation signée de lui des articles dont vous m’avez envoyé copie, je vous ordonne de partir sans retard, et vous défends expressément de faire ni entendre aucune autre proposition. Je compte que vous serez exact, et je vous le conseille. » Tel est le ton habituel de ses correspondances. Une âme aussi maîtresse d’elle-même devait nécessairement triompher. Après deux mois de discussions, les résistances tombèrent : les premiers jours de juin virent la victoire du prince, l’acceptation complète de toutes ses conditions. « Il faut passer l’éponge sur le passé, » écrit avec résignation la marquise, qui se console de ses déboires en admirant avec sa fille les riches bijoux de la corbeille : « M. de Brignole lui-même, dit-elle, les a trouvés fort beaux ; il invitait tout le monde à les voir, de fort bonne grâce. » La célébration du mariage fut fixée au 15 juin. Une minutieuse étiquette régla tous
- ↑ Lettres de Chabrol (Arch. de Monaco).