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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/682

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vents et des eaux n’est pas une science méprisable, et quoiqu’il tienne beaucoup à son argent, il graissera la patte aux astrologues, aux tireurs d’horoscopes, aux géomanciens, aux devins, pour qu’ils lui fassent part de leurs secrets. Il lui importe de savoir quels jours sont favorables pour célébrer une fête, un mariage, ou pour commencer une bâtisse, si l’on peut percer une fenêtre de plus dans une maison, exhausser une cheminée, couper un arbre, combler une mare sans se brouiller avec des êtres qu’on ne voit pas et qui ont l’humeur très susceptible. Ce qui lui importe surtout, c’est de bien choisir les lieux de sépulture. La chose est de conséquence, et il consultera le géomancien : il y a des endroits funestes où les morts sont tourmentés par les puissances des ténèbres, et quand les morts ne sont pas contens, les affaires des vivans s’en ressentent.

S’il est des questions embarrassantes que les géomanciens, les astrologues peuvent seuls résoudre, c’est en Bouddha et dans ses prêtres que le Chinois met sa confiance pour tout ce qui concerne la vie d’outre-tombe, dont Confucius lui défendait de s’occuper, et qui de temps à autre lui inspire de vagues inquiétudes. Il s’est laissé dire que les prières, les litanies, les vœux, les pèlerinages peuvent avoir leur utilité, qu’en se livrant à certaines pratiques de dévotion, il se tirera à meilleur compte des épreuves qui l’attendent dans le royaume des ombres. Longtemps la sagesse confucienne fut en guerre ouverte avec le bouddhisme, dont les tendances ascétiques et la discipline monacale lui semblaient mettre en danger ces vertus familiales et domestiques qui font prospérer les États. Mais la Chine est le pays des accommodemens, des transactions ; on a fait la paix. Les lettrés d’aujourd’hui ont pour Bouddha une indulgence mêlée d’un secret mépris ; et l’homme du peuple, prudent comme un Chinois, estime qu’arrive qui plante, il est bon de prendre ses précautions et de vivre en de bons termes avec tous les dieux et tous les prêtres. Un Japonais disait un jour à M. de Brandt : « Nous naissons shintoïstes, nous vivons comme des confuciens et nous mourons comme des bouddhistes… » Selon M. de Brandt, il n’en va pas de même du Chinois : il naît confucien, c’est-à-dire que dès sa naissance il a Confucius dans le sang, qu’une doctrine morale, sans dogmes et sans légendes, sur laquelle s’est greffé le culte des ancêtres et des héros, est sa religion naturelle ; mais il faut toujours se réserver le bénéfice d’inventaire, et il n’a garde de s’interdire les superstitions utiles ou, si étranges qu’elles lui paraissent, les pratiques qui peuvent assurer son bonheur dans ce monde-ci et dans l’autre.