Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/683

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’en est pas moins vrai que quelques concessions que le confucianisme ait faites aux dieux étrangers et aux préjugés populaires, il est resté le maître de la place, qu’il a toujours été reconnu pour la seule doctrine orthodoxe, pour la religion de l’État. Tout candidat aux fonctions publiques est tenu de prouver qu’il s’est nourri des livres et des préceptes de Confucius et de ses disciples, qu’il les sait par cœur, que le sage des sages a donné à son intelligence et à son âme la forme qu’elle gardera toujours, qu’il n’oubliera jamais qu’un fonctionnaire chinois est, comme le maître des maîtres, un professeur de vertu. « Le confucianisme, dit M. de Brandt, est l’âme de la civilisation chinoise, et on ne saurait méconnaître les services essentiels qu’il lui a rendus. De siècle en siècle, il a travaillé à la conservation de la famille et de l’État. C’est grâce à son influence que des fléaux qui ont désolé l’Europe ont été épargnés à la Chine, qu’elle n’a connu ni le fanatisme, ni l’inquisition, ni l’anarchie. Le Céleste Empire est le seul pays où une philosophie soit devenue le bien commun de tout un peuple et, durant des milliers d’années, l’ait aidé à régler ses mœurs et sa vie. »

Ce petit vieillard morose qui est venu à bout d’une si grande entreprise, et dont on a dit qu’il parlait en sage plus qu’en prophète et qu’il fut le seul des instituteurs de ce monde qui ne se soit point fait suivre par des femmes, n’a rien inventé ni enseigné rien de nouveau, rien qui lui fût personnel, et c’est sans doute à l’impersonnalité de sa doctrine qu’il a dû ses prodigieux succès : il était le plus Chinois de tous les Chinois, et la Chine s’est reconnue en lui. Il a été l’homme des traditions perdues ; il a imposé au respect des rois et des peuples de vieilles sagesses enfouies dans des livres oubliés ou négligés, qu’il a tirés de l’ombre où ils moisissaient. Il a remis en honneur le régime patriarcal des premiers temps, qu’il ne jugeait point incompatible avec une civilisation raffinée. Il pensait que la famille, au sens antique du mot, est la pierre angulaire sur laquelle repose toute société destinée à vivre, tout empire qui veut durer ; que l’individu n’est rien, qu’il n’acquiert des droits qu’en sa qualité de membre d’une communauté domestique, dont les intérêts se confondent avec les siens. Cette communauté se compose de vivans et de morts, et, pour qu’elle prospère, il faut que les vivans s’entr’aident et que les morts soient honorés, que leur souvenir se perpétue à jamais. Malheur à qui les néglige ! Ces ouvriers invisibles ne travaillent que lorsqu’on leur rend un culte ; ils ne font rien pour les oublieux et les ingrats.

La famille chinoise, comme l’a dit un Chinois, est une sorte de