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que le personnage de Simone, tout voisin qu’il puisse être de la réalité, fût un personnage de théâtre.

Lui non plus, ce personnage n’est pas vivant. Quelque soin que l’auteur ait mis à le dessiner, il n’a pas su faire saillir les traits par lesquels s’accuse l’individualité, il n’a pas su mettre au portrait ces touches qui font qu’un être imaginaire prend corps devant nos yeux. L’idée que Simone personnifie ne s’incarne pas en elle : pure création de l’esprit, le type ne sort pas des régions de l’abstrait pour entrer dans le monde des êtres de chair et de sang. Ce sont ici les insuffisances de l’exécution ; je ne sais d’ailleurs si un dramatiste plus expérimenté eût réussi, là où M. Vandérem a échoué. Car c’est la conception même du personnage qui est en contradiction avec les exigences de la scène. Les êtres armés pour la vie du théâtre, comme aussi bien pour la vie réelle, ce sont les êtres de volonté. Rappelez-vous les héroïnes de Dumas et demandez-vous pourquoi, alors même que nous n’approuvons pas leur conduite, nous nous y intéressons si vivement ; c’est qu’elles ne s’abandonnent pas, c’est qu’elles luttent, c’est qu’elles défendent avec une âpreté passionnée, avec une énergie sans défaillances, ce qu’elles considèrent comme leur bonheur ou tout au moins comme leur raison de vivre. Chez Simone la perspicacité de l’intelligence a tué la faculté de l’action. Elle a, dans la clarté de l’évidence, aperçu l’égoïsme foncier et incurable de Jacques. Celui-ci est, dans toute la force et tout l’odieux du terme, un homme de plaisir. Il est de ceux qu’aucune femme ne peut retenir. Inconstant, inconsistant, inconscient plutôt que méchant, il s’est égaré dans le mariage, et ne pouvait s’y enfermer. Aucuns liens n’ont de prise sur cette nature insaisissable et fuyante. A quoi bon tenter une lutte inutile ? A défaut de cette forme de la lutte, il y en a une autre qui pouvait avoir une valeur dramatique. C’est la lutte que Simone, à une certaine époque de sa vie, a soutenue contre elle-même. Car, sans doute elle avait commencé par croire en son mari. Brusque ou lente, la désillusion est venue. Simone a souffert. Entre sa dignité d’honnête femme et son amour de femme passionnée, un combat a eu lieu. C’est ce combat qui eût pu faire le sujet d’un drame psychologique. C’est à cette période de la vie sentimentale de Simone qu’il eût fallu nous faire assister. Mais maintenant il s’est fait dans l’âme de la jeune femme une sorte de paix douloureuse. Elle se résigne, ou elle subit. Elle attend les événemens. Elle est à la merci d’un hasard. C’est un hasard, en effet, celui d’une conversation surprise, qui amène le dénouement. Le hasard, dans la vie, dénoue beaucoup de situations. Ou plutôt, il