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semble que ce soit le hasard. En fait, et aux yeux d’un observateur pénétrant, les situations ont le dénouement que comporte leur logique. C’est cette logique, celle du caractère et des sentimens, que le théâtre doit mettre en lumière.

Ce qu’il faut encore au théâtre ce sont des partis nettement pris, et des situations nettement établies. La situation de Simone est équivoque, et il ne pouvait en être autrement. Afin de jouer cette comédie de l’ignorance, par laquelle elle sauvegarde aux yeux du monde un semblant de fierté, la jeune femme, s’est prêtée à de singuliers arrangemens et à tout un luxe de compromis. Nous la voyons au second acte, entre deux maîtresses de son mari, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, souriant à l’une et à l’autre. Elle abrite sous son propre toit les amours coupables de Jacques, en vue de leur plus grande commodité. Est-ce bien de la résignation ? Suffit-il de parler de patience ? A dire le vrai, Simone joue ici un rôle de complaisante. Notre sympathie pour elle diminue d’autant. Certes, nous compatissons à toute infortune, et la souffrance de Simone est réelle. Seulement il y a des souffrances d’inégale valeur, et il y a des nuances dans la pitié. Au théâtre, nous prenons parti, sans hésitation, pour la femme honnête et chaste que trompe son mari. Mais voici une femme tout énamourée et conjugalement ardente. Elle accepte les hontes répétées du partage afin de continuer à jouir de son mari. Un moment vient où, la lie du calice lui montant aux lèvres, elle trouve que cette jouissance sera désormais trop mêlée d’amertume. Elle préfère mourir. Eh bien donc, qu’elle meure !

Ces raisons peuvent expliquer l’accueil indécis qui a été fait au Calice. Encore vaut-il mieux, pour un écrivain qui a devant lui un long avenir, avoir écrit cette pièce plutôt que telle autre de celles où court le public d’aujourd’hui, uniquement soucieux qu’on l’amuse. M. Vandérem a dédaigné les faciles moyens de succès. Il a montré qu’une pièce de théâtre est pour lui autre chose qu’une petite drôlerie. C’est un effort qui lui sera compté. Il est dans la vraie voie.

Mme Réjane joue avec intelligence et souplesse le rôle de Simone qui est à peu près le contraire de ceux qu’on lui confectionne ordinairement. M. Guitry a dans le rôle de Jacques cette lourdeur et cette fantaisie épaisse où de bons juges s’accordent à reconnaître le dernier mot de l’élégance de maintenant. M. Nertann est excellent.


RENE DOUMIC.