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pourquoi ne fait-on pas du style de Racine ou de celui de La Fontaine des critiques analogues ? C’est que celles que l’on fait du style de Molière sont, à vrai dire, plus que grammaticales ; elles mènent à des considérations de philologie, d’histoire, d’esthétique ; il y va de ce qu’on appelle le « pouvoir du style ; » et, puisque sans doute aucune critique de ce genre, ou même d’un autre, n’empêchera Molière d’être tout ce qu’il est, c’est ce qu’il y a d’intéressant à montrer.


I

J’ai cité La Bruyère d’après la quatrième édition de ses Caractères, et, en effet, c’est la première où l’on trouve son jugement du style de Molière : « Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon… et d’écrire purement. » Qu’était-ce donc pour La Bruyère qu’ « écrire purement ? » C’était sans doute, et avant tout, pour lui comme un peu pour tout le monde, écrire « correctement ; » et, il faut bien l’avouer, Molière, même dans ses chefs-d’œuvre, n’a pas toujours écrit correctement. Je ne parle pas ici de prétendues incorrections qui ne sont devenues telles que depuis lui, sans que d’ailleurs on sache pourquoi, sur l’autorité de quel grammairien ou de quel commentateur. Je me rappelle que Génin, dans son Lexique comparé de la Langue de Molière, a noté d’incorrection ce vers de l’Ecole des femmes :

L’air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre…

C’est Arnolphe qui parle à Agnès, et il faudrait donc avoir écrit, dit Génin : « L’air dont je vous ai vue… » Génin s’est trompé. L’usage était libre au XVIIe siècle et, en prose comme en vers, on accordait ou on n’accordait pas le participe. M. Haase (Cf. p. 223, 224, 225) en donne de nombreux exemples. Mais le plus démonstratif de tous, parce qu’il en est le plus authentique, est sans doute celui-ci, que j’emprunte à l’édition originale de l’Instruction sur les États d’oraison. On avait imprimé dans le texte : « Faites-moi, Seigneur, oublier les mauvais fruits de ces mauvaises racines que j’ai vues (veues) autrefois germer dans le lieu saint. » Et Bossuet fait un erratum tout exprès pour nous dire : « Au lieu de vues, lisez vu. » Nombre d’incorrections que l’on reproche à Molière sont ainsi « la correction » même de la langue de son temps. Voltaire, dans son Commentaire, en a