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Il n’y a presque rien de plus fade dans les opéras de Quinault, qu’au surplus la critique du XVIIIe siècle a mis presque au même rang que les tragédies de Racine ou les comédies de Molière[1]. Et vainement dira-t-on que Jupiter ici s’amuse d’Alcmène et de lui-même ! On ne fera pas que là, comme ici, et ailleurs, Molière ne soit plein de ces gentillesses. J’ai même pensé parfois sur ce propos que, s’il s’était moqué si cruellement de la préciosité, c’est qu’il en tenait ; et il le savait. Nous nous acharnons souvent dans la satire aux défauts qui sont précisément les nôtres, ou qui le seraient, si nous n’y prenions garde ; et que servirait-il d’être Molière si l’on ne poursuivait ses propres vices… dans la personne des autres ?

Il reste enfin le « galimatias, » et cette « multitude de métaphores, » qui feraient, au dire de Fénelon, un si choquant contraste avec « l’élégante simplicité » de Térence. Et nous convenons qu’on n’a jamais, dans aucune langue, écrit plus élégamment que Térence, ni plus simplement, tandis qu’aucun grand écrivain n’est plus abondant que Molière en métaphores inutiles, et n’y met moins d’élégance ou de choix. Voici quelques vers franchement détestables :

Ne vous y fiez pas, il aura des ressorts
Pour donner contre vous raison à ses efforts,
Et, sur moins que cela, le poids d’une cabale,
Embarrasse les gens dans un fâcheux dédale.
( Tartuffe, V, 3.)

Mais cette prose est-elle beaucoup meilleure : « Les applaudissemens me touchent, et je tiens que dans tous les beaux arts c’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d’essuyer sur des compositions les barbaries d’un stupide… Il y a plaisir, ne m’en parlez point, à travailler pour des personnes qui

  1. Il n’est pas d’ailleurs douteux que Quinault ait manié ce style de la galanterie d’alors avec une habileté rare :
    Vous juriez autrefois que cette onde rebelle
    Se ferait vers sa source une route nouvelle
    Plutôt qu’on ne verrait votre cœur dégagé :
    Voyez couler ces flots dans cette vaste plaine,
    C’est le même penchant qui toujours les entraîne
    Leur cours ne change point et vous avez changé.
    Il n’y a guère de style plus « coulant » que celui de Quinault, dans les bons endroits ; et, par une affinité qui mérite qu’on la signale, peu de poètes ont tiré plus volontiers leurs comparaisons de ce qu’il y a dans la nature de mouvant et de fluide.
    Mais cela ne veut pas dire qu’il écrive « mieux » que Molière.