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musique dans le Bourgeois gentilhomme : « Les applaudissemens me touchent, et je tiens que dans tous les beaux-arts c’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots et d’essuyer sur des compositions la barbarie d’un stupide… » Il est clair ici que le maître de musique s’écoute et prend plaisir à s’écouter parler. Son galimatias fait un trait de son caractère. Pareillement Trissotin dans les Femmes savantes, et Bélise, et Philaminte, et Armande. Caractérisés comme le sont les personnages de Molière, c’est à eux, c’est à leur caractère, à leur condition, à leur situation qu’il faut demander la raison d’une bizarrerie de langage qui est quelquefois la leur. Il y a dans Arnolphe un mélange de sottise naturelle et de contentement de soi-même, il y a de la finesse et de la prétention, et il y a dans Tartuffe du calcul et de la maladresse, il y a de l’hypocrisie et de la grossièreté. Si de toutes ces nuances on retrouve, et on doit retrouver quelque chose dans la manière dont ils parlent, imputerons-nous au « style de Molière » ce qui est caractéristique des personnages ? « Et comment voulez-vous qu’ils traînent votre carrosse, dit Maître Jacques dans l’Avare, qu’ils ne peuvent pas se traîner eux-mêmes ? » Supposé que ce soit une incorrection, nous voyons aisément qu’elle est voulue : Maître Jacques est « peuple » et parle donc comme le « peuple. » Et c’est ainsi qu’il pourrait y avoir quelque ironie — par fidélité de ressemblance — jusque dans le langage que Molière prête à ses Valère et à ses Clitandre.

Encore une fois, c’est qu’il écoute parler ses personnages au lieu de leur imposer, comme feront ses successeurs, sa manière, à lui, de parler : sa gaité légère et cynique de viveur, comme Regnard ; sa froideur d’ironiste, comme Lesage ; ou sa subtilité de psychologue et ses recherches de précieux comme Marivaux. Il n’intervient pas en auteur dans leurs discours, et, pour me servir d’une expression qu’il aime, son Alceste ou son Philinte ne sont point les « truchemens » de ses opinions, mais des leurs. C’est une condition du genre. La fidélité de l’imitation est le premier mérite, le mérite essentiel de la représentation de la vie ; et, sans doute, on peut se proposer de faire entrer autre chose dans une comédie, mais à peine la gloriole d’avoir « bien écrit ». Le Distrait, Turcaret, le Glorieux, le Méchant, sont des comédies assez bien écrites, qui font honneur à leurs auteurs, mais qui peut-être en font moins à la scène française, et dont la froideur pourrait venir d’être précisément trop bien écrites.