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enceinte de murailles couvre le repos et la vie du maître, et chaque soir, par des ordres imprévus, il désigne entre ses demeures celle qui le recevra la nuit : étrange existence de sultan blême qui sans cesse change de couche, poussé non par la volupté, mais par la peur.

C’est là qu’il recevra Guillaume. Au faîte de la colline, où la verdure des bois paraît plus sombre sur la pâleur du ciel, une sorte de chalet suisse met la tache claire de ses toits et de ses façades. Il semble petit, il est assez grand pour que sa salle d’honneur ait trente mètres ; il contient des appartemens pour l’empereur, pour l’impératrice, le tout meublé à l’européenne, avec une profusion entassée, avec le disparate qui fait la laideur des belles choses, avec un mauvais goût à peu près égal à celui de presque tous les Européens quand ils veulent s’installer à l’orientale. Ici rien n’est oriental que la dépense, cette prodigalité de construire une telle maison pour un hôte de cinq jours, comme on dresserait une tente à l’ombre d’un palmier.

Hors d’Yldiz rien n’a été mis en état, que les rues par lesquelles l’empereur doit se rendre à l’ambassade, à l’école et au cercle Allemands : le tout est sis à Péra. Deux vieilles maisons faisaient là sur la grande rue une saillie si forte qu’il restait juste la place à une voiture : elles ont été éventrées. Pour cacher la blessure béante et aussi les amas de décombres qui, çà et là, remplacent les édifices partout où l’incendie et l’insouciance musulmane font leur œuvre, on a aligné des palissades pleines. Sur elles quelques Turcs promènent lentement de longs pinceaux, et elles prennent peu à peu une couleur jaune d’ocre, sous laquelle disparaît aussi la crasse de quelques murs trop lépreux. La chaussée n’est pas oubliée. Le pavage à Constantinople se fait avec des blocs de pierre irréguliers où, entre les plus gros, établis d’abord, on enfonce, tant bien que mal, les plus petits. Ils s’ébranlent vite et disparaissent, laissant des fondrières noires où se couchent les chiens, où toutes les espèces de détritus s’amassent et pourrissent sous toutes les variétés de puanteur. Où l’empereur passera, on nivelle avec de la terre et l’on jette une couche de sable. Tout semble propre et restera tel jusqu’à ce que la prochaine pluie lave ce fard des vieilles rues en pente, et transforme en fondrières plus profondes les rues basses où cette boue viendra s’amonceler. N’oublions pas le travail moins visible, mais le plus important, la recherche des révolutionnaires par la police. Les sujets ottomans ne peuvent