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Jérusalem, 26 octobre.

La nuit tombait quand le train s’est arrêté en pleine campagne, une petite gare portait écrit le mot : Jérusalem. Quatre cents voyageurs descendent, courent à leurs bagages, les disputent aux porteurs, se pressent aux issues gardées par la police turque, protestent contre son attentive lenteur à lire les teskiéré. Tous les autres idiomes sont étouffés, écrasés entre les sons rudes et gutturaux des pèlerins germaniques, et la preuve apparaît une fois de plus que la langue allemande est la plus belle de toutes pour se mettre en colère. Un cawas du consulat français nous épargne la dispute et l’attente, et, hors de la gare, tout bruit s’éteint dans la paix du soir.

Le croissant élargi d’une l’une qui sera bientôt pleine jette une clarté dans les profondeurs du ciel et sur la face tourmentée de la terre. Le plateau où nous sommes descend en avant de nous et se creuse en vallée : elle s’étend et tourne autour d’un éperon rocheux qui s’élève au milieu d’elle, et que de grands murs dominent. Leurs longues lignes crénelées, leurs tours carrées et massives enserrent une ville, l’annoncent et la cachent. Nulle part d’arbres, d’herbe, d’eaux ; tout est pierres et poussière, ce qu’il y a de moins vivant dans la nature. Et le plateau, et la vallée, et les terres et les murailles ont la même teinte de cendre. Il y a des lieux qui ont une conscience. Cette terre des Juifs, semblable aux Juifs eux-mêmes quand après leurs fautes ils se couvraient de cendres, porte le deuil d’un inconsolable souvenir. Elle a donné la mort et un tombeau à celui qui apportait la vie au monde : elle garde depuis dix-huit siècles la pâleur de cette mort et la stérilité d’un sépulcre. Cette tristesse nous entoure et nous pénètre comme une atmosphère : elle est en nous quand nous descendons vers les murailles qui vues de plus bas paraissent plus hautes encore : elle est en nous quand nous longeons l’enceinte et remontons la rampe qui mène à la porte prochaine. Soudain, comme nous touchons le pied des murs, la voie s’infléchit à l’angle d’une tour : voici des lumières, des cafés, un arc de triomphe et le va-et-vient des habitans. Cette petite vie offense et chasse les pensées, et le chant d’un chamelier fait taire la voix des siècles.


L’entrée dans Jérusalem, samedi 29 octobre.

Guillaume II entre aujourd’hui dans Jérusalem. A trois heures il doit arriver à la porte de Jaffa, descendre de cheval et se rendre