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cette harmonie des couleurs, cette composition de l’attitude, ce soin, après l’avoir choisie, de n’y plus rien changer. Il semblait que Guillaume voulût donner aux assistans, se donner à lui-même le spectacle d’un empereur dans ses rapports avec Dieu ; que, s’il songeait à Dieu, il songeât surtout aux hommes ; qu’il jouât son rôle de personnage représentatif et qu’en lui l’artiste, en même temps acteur, fît tort au croyant. Les statues de la prière ne prient pas.

Ce n’est pas à dire que ce croyant ne soit pas sincère. Sa foi profonde et mystique en l’autorité des princes suffirait à lui rendre la religion nécessaire : il veut à ce pouvoir la hauteur d’une origine surhumaine, il lui faut Dieu pour sacrer l’empereur. Cette conception, en rattachant sa croyance de chrétien à sa dignité de monarque, rend cette croyance inaccessible au doute, mais donne à ce christianisme pour fondement, au lieu de l’humilité, l’orgueil. Et cet orgueil doit bannir toute banalité des entretiens que ce maître de peuples demande au maître des rois. Ou je m’abuse fort, ou l’empereur, on lui rendant hommage, lui rappelle les obligations de Dieu envers les princes ; lui démontre l’injustice que commettrait la Providence si, ayant chargé un être privilégié de la représenter auprès des nations, elle refusait à son mandataire une assistance constante ; et quand il a besoin de faveurs et qu’elles tardent, il sait réclamer son dû. Tout à l’heure, il a paru oublier un instant sa cour, son costume, sa pose, et s’absorber en une solitude intérieure. Si c’était un recueillement de la créature devant son créateur, cette vision n’avait rien de l’abandon, de la confiance, de la tendresse. Ses yeux fixaient la terre à quelques pas devant lui ; ses moustaches, seules dressées vers le ciel, semblaient menacer au lieu d’implorer ; sous ses cheveux noirs et aplatis par le casque, se dessinait un front volontaire. Sur ce front était écrit je ne sais quel désir non satisfait, surpris d’avoir attendu et impatient qui semblait toute sa prière, et son cou aux fortes attaches semblait pousser en avant cette prière obstinée, avec un mouvement de bélier qui bat un mur. Je donne mon impression comme je l’ai éprouvée : elle n’est pas un jugement ; et d’ailleurs il ne faut pas défigurer, par des hypothèses sur le mystère des intentions, les actes qui portent en eux-mêmes leur sens et leur beauté.

Quand l’empereur s’est relevé, un air lent et religieux s’est fait entendre. Joué d’abord par des instrumens, il a été repris par