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l’assistance, mais doucement, comme si c’étaient les voix qui accompagnaient l’orchestre. Dans ce murmure de paroles chantées, je distinguais les notes fluettes et justes de l’impératrice. Avec elle toute la cour entonnait le cantique. Ces hommes et ces femmes avaient tout à l’heure l’aspect tout ensemble important et subalterne qu’on prend auprès de tous les princes : maintenant cet acte religieux, cette affirmation de foi ennoblissait ces visages. Et cette cour élevée au-dessus de ses adorations accoutumées pour un homme, cet homme même faisant trêve à son propre culte, rendant à Dieu les hommages que d’ordinaire il reçoit, et fléchissant aux yeux de tous le genou devant le maître invisible, tout cela était imposant. Le secret de la grandeur, si vainement cherché hier avait été trouvé aujourd’hui par Guillaume II, et la poésie de cet acte religieux planait encore sur lui, tandis qu’à la tête de son cortège silencieux et dans la nuit tombante, il redescendait vers Jérusalem.

Restait néanmoins à savoir pourquoi il avait, Allemand et luthérien, choisi pour célébrer son culte un terrain russe et la dépendance d’une église orthodoxe. Nous l’avons demandé quand l’esplanade, vide de la majesté impériale, sembla de nouveau déserte, que notre consul général y retrouva son collègue de Russie, que celui-ci nous fit les honneurs d’une coquette salle contiguë à la chapelle, et que nous travaillâmes à l’alliance en buvant une tasse de thé russe.

Guillaume II avait fait savoir son désir d’honorer là le jour du dimanche ; il avait donné pour raison que nulle place ne lui semblait aussi belle, d’une beauté aussi religieuse. L’artiste, le curieux d’émotions rares, l’évocateur des lointains passés se révélait dans un tel souhait, et ne pouvait souhaiter mieux. Quand les anciens patriarches voulaient se sentir plus près de Dieu, ils l’invoquaient, dit l’Écriture, dans les « lieux hauts. » Quel temple est comparable à ce lieu haut qui, de toutes parts, domine la Terre de Dieu, où la nature même est la Bible, la Bible ouverte à la fois à toutes les pages ? où l’Ancien et le Nouveau Testament mêlent leurs saintetés ? Dans ces déserts le vrai Dieu eut ses premiers adorateurs. Ce lac bitumineux où il engloutit les villes qui n’avaient pas gardé sept justes, raconte les colères de sa justice. Cette route, par laquelle les Hébreux vinrent de la servitude dans la Terre promise, dit les miracles de sa bonté. Toute cette Galilée, toute cette Palestine est une vallée de Josaphat, une cendre de